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les modulations les plus hardies, suit les chants les plus neufs et les plus recherchés ; ce sont des cadences ou des tenues à perte d’haleine ; tantôt on entendait les sons descendre et murmurer au fond de sa gorge comme l’onde du ruisseau qui se perd sourdement entre des cailloux, tantôt on les entendait s’élever, se renfler peu à peu, remplir l’étendue des airs et y demeurer comme suspendus. Il était successivement doux, léger, brillant, pathétique, et quelque caractère qu’il prît, il peignait ; mais son chant n’était pas fait pour tout le monde.

« Emporté par son enthousiasme, il chanterait encore ; mais l’âne, qui avait déjà bâillé plusieurs fois, l’arrêta et lui dit : « Je me doute que tout ce que vous avez chanté là est fort beau, mais je n’y entends rien ; cela me paraît bizarre, brouillé, décousu. Vous êtes peut-être plus savant que votre rival, mais il est plus méthodique que vous, et je suis, moi, pour la méthode. »

Et l’abbé, s’adressant à M. Le Roy, et montrant Grimm du doigt : « Voilà, dit-il, le rossignol, et vous êtes le coucou, et moi je suis l’âne qui vous donne gain de cause. Bonsoir. »

Les contes de l’abbé sont bons, mais il les joue supérieurement. On n’y tient pas. Vous auriez trop ri de lui voir tendre son cou en l’air, et faire la petite voix pour le rossignol, se rengorger et prendre le ton rauque pour le coucou ; redresser ses oreilles, et imiter la gravité bête et lourde de l’âne ; et tout cela naturellement et sans y tâcher. C’est qu’il est pantomime depuis la tête jusqu’aux pieds.

M. Le Roy prit le parti de louer la fable et d’en rire.

À propos du chant des oiseaux, on demanda ce qui avait fait dire aux anciens que le cygne, qui a le cri nasillard et rauque, chantait mélodieusement en mourant.

Je répondis que peut-être le cygne était le symbole de l’homme qui parle toujours au dernier moment, et j’ajoutai que si j’avais jamais à mettre en vers les dernières paroles d’un orateur, d’un poëte, d’un législateur, j’intitulerais ma pièce le chant du cygne.

La conversation en prit un tour un peu sérieux. On parla de l’horreur que nous avons tous pour l’anéantissement.

« Tous ! s’écria le père Hoop ; vous m’en excepterez, s’il vous plaît. Je m’en suis trop mal trouvé la première fois pour