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quand le satyre l’aura surprise une fois aux environs de sa demeure, elle y retournera pour en être surprise encore. Si le hasard conduit encore les pas du satyre vers elle, elle s’enfuira connue auparavant, mais plus lentement, et peut-être retournera-t-elle la tête en fuyant ; et quand le satyre l’atteindra, elle ne l’égratignera plus ; elle dira qu’elle va crier, mais elle ne criera plus ; elle n’appellera plus sa mère. Mais le satyre ne la cherchera pas longtemps ; car il est plus inconstant encore que libertin. Le bélier qui paît l’herbe qui croît autour de sa cabane n’est pas plus libertin ; le vent qui agite la feuille du lierre qui la tapisse est moins changeant. Celles qu’il ne recherchera plus et qui se seront amusées inutilement autour de sa cabane, et il y en aura beaucoup, s’en retourneront tristes et chagrines en disant au dedans d’elles-mêmes : méchant satyre ! ô satyre inconstant ! si je l’avais su ! Et leurs compagnes, qui verront leur tristesse, leur en demanderont la cause ; et elles ne la diront pas : et les autres bergères innocentes et jeunes continueront de s’amuser autour de la cabane du satyre ; et lui de les surprendre, de les surprendre encore une fois, de ne les surprendre plus ; et elles de se taire. Voilà, mon amie, ce qu’on appelle une idylle que je vous fais, tandis que le satyre, l’oreille dressée, se réjouit à dire des contes à nos femmes. À propos de beaux yeux, il leur dit qu’un jour Saint-Évremond s’endormit entre deux femmes qui se disputaient sur ce qu’il faut appeler de beaux yeux. La matière était importante ; chacune avait la prétention. On allégua beaucoup de choses fines et profondes ; on en allégua beaucoup de brillantes, et de réfléchies. Cependant Saint-Évremond, qui goûtait au milieu de la dispute le sommeil le plus doux, fut pris pour juge. Une des deux femmes, le tirant par le bras, lui dit : « À votre avis, monsieur, quels sont les plus beaux ? » Saint-Évremond se frottant les yeux, leur dit : « Les plus beaux !… Ce sont les petits et ridés. — Les yeux petits et ridés sont les plus beaux ! y pensez-vous ? — Ah ! ah ! vous parlez d’yeux ! Ma foi, j’ai cru que deux femmes de cour s’entretenaient d’autre chose. » Et voilà Mme d’Holbach qui baisse les yeux et qui joue l’inattention, et Mme d’Aine qui se met à rire comme une folle, en disant : « C’est une bonne connaissance à voir. — Mais pourquoi si bonne ? Il est toujours trop tard pour s’en servir. » Voilà encore