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seule ici ; je ne savais que devenir ; je me fis mener à Bonneuil, et dare, dare, dare, voilà un homme qui vient en cabriolet, comme si le diable l’emportait. Vous savez ce tournant vers l’église, il avait là une femme montée sur un âne, entre deux paniers ; et crac, le moyeu du cabriolet accroche un panier, et voilà l’âne, les quatre fers en l’air d’un côté, et les paniers et la femme, les quatre fers en l’air, de l’autre. On s’amasse, on redresse les paniers, on relève l’âne par la queue ; cependant on laissait là cette pauvre femme qui criait comme une femme troussée. — Mais il y en a qui ne crient pas trop. — Aux sérails. — Là comme ailleurs.

L’Alcoran fut le seul livre de la nation pendant plusieurs siècles ; on brûla les autres, ou parce qu’ils étaient superflus, s’il n’y avait que ce qui est dans l’Alcoran, ou parce qu’il étaient pernicieux, s’ils contenaient autre chose que ce qui y est. Ce fut d’après ce raisonnement qu’on chauffa pendant six mois les bains d’Alexandrie des ouvrages du temps précédent. L’imposteur n’était plus, lorsque des fanatiques remplis de son esprit damnaient le calif Almamon pour avoir accueilli la science au détriment de la sainte ignorance des fidèles croyants. Ils disaient : Si quelqu’un ose l’imiter, il faut l’empaler et le porter de tribu en tribu, précédé d’un héraut qui criera : C’est ainsi qu’on traitera l’impie qui préférera la philosophie profane à la divine tradition, la raison au miraculeux Alcoran.

Cependant les Omméades firent peu de chose pour les savants. Les Abbassides osèrent davantage. Un d’entre eux institua des pèlerinages, éleva des temples, prescrivit des prières publiques et se montra si religieux qu’il put, sans irriter les dévots, attacher près de lui un astrologue et deux médecins chrétiens. Il n’y a point de sectes que les musulmans haïssent autant que la chrétienne. Cependant les lettrés que les derniers Abbassides appelèrent à leur cour étaient tous chrétiens. Le peuple n’y prit pas garde. — C’est qu’il était heureux sous leur gouvernement. Je dirais volontiers à un prince… — Est-ce qu’on dit quelque chose aux princes ? Mais voyons, père Hoop, ce que vous leur diriez. — Soyez bons ; soyez justes ; soyez victorieux ; soyez honorés de vos sujets et redoutés de vos voisins. — Rien que cela ? — J’ajouterais : Ayez une armée nombreuse à vos ordres, et vous établirez la tolérance universelle ; vous renver-