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et… j’allais ajouter la une bonne folie que je vous laisse à deviner.....

Adieu, mon amie. Il y a sûrement une de vos lettres à Charenton ; demain on me l’apportera, ou on ira la chercher d’ici.

Notre vie est toujours la même. On travaille, on mange, on digère si l’on peut, on se chauffe, on se promène, on cause, on joue, on soupe, on écrit à son amie, on se couche, on dort, on se lève, et l’on recommence le lendemain.

Notre causerie a été fort chaude et fort variée aujourd’hui, M. d’Holbach soutient qu’il ne faut jamais plaisanter au jeu ; qu’en pensez-vous ? Autre paradoxe : qu’on ne corrige les hommes de rien. Je vois à cela deux choses : l’une, qu’il se fâche aisément quand il perd, et qu’il voudrait bien s’excuser le peu de succès de l’éducation de ses enfants..... Je les ai laissés sur une bonne folie. Ils en ont pour jusqu’à minuit, s’ils le veulent. J’ai dit : Veut-on semer une graine ; on défriche, on laboure, on herse. Veut-on planter un arbre ; on choisit le temps, la saison ; on ouvre la terre, on la prépare ; il y a des soins que l’on prend. Quelle est la fleur qui n’en exige pas ? Il n’y a que l’homme qu’on produise sans préparation. On ne regarde ni à sa santé ni à celle de la mère ; on a l’estomac chargé d’aliments, la tête échauffée de vin ; on est épuisé de fatigue ; on est embarrassé d’affaires, abattu de chagrins. L’Écossais a dit : « Quand on cherche à les faire sains, on les fait sots. »

Cela est aussi vrai que quand le père et la mère sont innocents tous les deux, on les fait fous. Sans plaisanter, c’est un ouvrage assez important pour y procéder avec quelque circonspection.

Il a fait une après-dinée charmante. Nos jardins étaient couverts d’ouvriers et vivants. J’ai été voir planter des buis, tracer des plates-bandes, fermer des boulingrins. J’aime à causer avec le paysan ; j’en apprends toujours quelque chose. Ces toiles qui couvrent en un instant cent arpents de terre sont filées par de petites araignées dont la terre fourmille : elles ne travaillent que dans cette saison et que certains jours.

À gauche de la maison, nous avons un petit bois qui la défend du vent du nord ; il est coupé par un ruisseau qui coule naturellement à travers des branches d’arbres rompues, à travers