Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/417

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« C’est pour cela, lui dit Mme d’Aine, que je vous ai donné une chambre qui conduit de plain-pied de la fenêtre dans le fossé ; mais ne vous pressez guère de profiter de mon attention. » Le Baron ajouta : « Vous n’aimez peut-être pas vous noyer ; si vous trouvez l’eau froide, père Hoop, allons nous battre. » Et l’Écossais : « Très-volontiers, mon ami, à condition que vous me tuerez. »

On parla ensuite d’un M. de Saint-Germain qui a cent cinquante à cent soixante ans et qui se rajeunit, quand il se trouve vieux[1]. On disait que si cet homme avait le secret de rajeunir d’une heure, en doublant la dose il pourrait rajeunir d’un an, de dix, et retourner ainsi dans le ventre de sa mère. « Si j’y rentrais une fois, dit l’Écossais, je ne crois pas qu’on m’en fit sortir. »

À ce propos il me passa par la tête un paradoxe que je me souviens d’avoir entamé un jour à votre sœur, et je dis au père Hoop, car c’est ainsi que nous l’avons surnommé parce qu’il a l’air ridé, sec et vieillot : « Vous êtes bien à plaindre ! mais s’il était quelque chose de ce que je pense, vous le seriez bien davantage. — Le pis est d’exister et j’existe. — Le pis n’est pas d’exister, mais d’exister pour toujours. — Aussi je me flatte qu’il n’en sera rien. — Peut-être ; dites-moi, avez-vous jamais pensé sérieusement à ce que c’est que vivre ? Concevez-vous bien qu’un être puisse jamais passer de l’état de non vivant à l’état de vivant ! Un corps s’accroît ou diminue, se meut ou se repose ; mais s’il ne vit pas par lui-même, croyez-vous qu’un changement, quel qu’il soit, puisse lui donner de la vie ? Il n’en est pas de vivre comme de se mouvoir ; c’est autre chose. Un corps en mouvement frappe un corps en repos et celui-ci se meut ; mais arrêtez, accélérez un corps non vivant, ajoutez-y, retranchez-en, organisez-le, c’est-à-dire disposez-en les parties comme vous l’imaginerez ; si elles sont mortes, elles ne vivront non plus dans une position que dans une autre. Supposez qu’en mettant à côté d’une particule morte, une, deux ou trois particules mortes, on en formera un système de corps

  1. Voir, sur ce célèbre aventurier et mystificateur, les Souvenirs du baron de Gleichen qui le connut particulièrement, et le t. III (p. 324) des Œuvres inédites de Grosley. Troyes et Paris, 1813, 3 vol. in-8.