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l’enregistrement, qui suppose dans ceux à qui elles sont notifiées par cette voie l’examen le plus scrupuleux du préjudice qu’elles pourraient causer ; que si, nonobstant cet examen des syndics et adjoints et la connaissance du tort que la bienveillance du souverain occasionnerait et les oppositions légitimes qui leur sont faites, ils passaient à l’enregistrement, ils iraient certainement contre l’intention du prince, qui n’a pas besoin et qui ne se propose jamais d’opprimer un de ses sujets pour en favoriser un autre ; et que, dans le cas dont il s’agissait, il ôterait évidemment la propriété au possesseur pour la transférer au demandeur contre la maxime du droit.

Franchement, monsieur, je ne sais ce qu’on peut répondre à ces représentations, et j’aime mieux croire qu’elles n’arrivent jamais aux oreilles du maître. C’est un grand malheur pour les souverains de ne pouvoir jamais entendre la vérité ; c’est une cruelle satire de ceux qui les environnent que cette barrière impénétrable qu’ils forment autour de lui et qui l’en écarte. Plus je vieillis, plus je trouve ridicule de juger du bonheur d’un peuple par la sagesse de ses institutions. Eh ! à quoi servent ces institutions si sages, si elles ne sont pas observées ? Ce sont quelques belles lignes écrites pour l’avenir sur un feuillet de papier.

Je m’étais proposé de suivre l’établissement des lois concernant les privilèges de la librairie depuis leur origine jusqu’au moment présent, et j’ai rempli cette première partie de ma tâche. Il me reste à examiner un peu plus strictement leur influence sur l’imprimerie, la librairie et la littérature, et ce que ces trois états auraient à gagner ou à perdre dans leur abolissement. Je me répéterai quelquefois, je reviendrai sur plusieurs points que j’ai touchés en passant, je serai plus long ; mais peu m’importe pourvu que j’en devienne en même temps plus convaincant et plus clair. Il n’y a guère de magistrats, sans vous en excepter, monsieur, pour qui la matière ne soit toute neuve ; mais vous savez, vous, que plus on a d’autorité, plus on a besoin de lumières.

À présent, monsieur, que les faits vous sont connus, nous pouvons raisonner. Ce serait un paradoxe bien étrange, dans un temps où l’expérience et le bon sens concourent à démontrer que toute entrave est nuisible au commerce, que d’avancer qu’il n’y a que les privilèges qui puissent soutenir la librairie. Cepen-