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plaisaient, a fait remarquer[1] qu’on souffrait de savoir Mlle Volland malade pendant quinze jours « d’une aile de perdreau et d’un verre de vin de trop » ou d’entendre Diderot lui conter ses maux d’estomac, voire même ses indigestions. Aux premières pages de la Fin d’un monde, Jules Janin nous le montre heureux de « planter là ces grands paniers, ces grands yeux de faïence, cette machine osseuse et dégingandée et qui se dandine, accrochée à son bras ». Pure fantaisie de l’écrivain qui a le plus contribué peut-être à égarer l’opinion commune sur le philosophe ! Diderot resta fidèle à son amie jusque dans la vieillesse et s’il n’exprima plus sa passion en termes aussi vifs, il n’y eut rien là que de décent. Quant au reproche de Sainte-Beuve, j’imagine que s’il avait eu plus tard l’occasion de reparler des Lettres, il se fût gardé d’insister sur le manque de goût qui le choquait en 1831. Les phases de la santé d’un grand artiste ne sont pas indifférentes à la critique moderne, telle qu’elle est sortie des Causeries du lundi ; elles expliquent tant de défaillances et de luttes cruelles !

Au cas particulier, n’est-il pas curieux de voir Diderot supporter vaillamment la dyspepsie — ce mal professionnel des gens de lettres — et ne pouvoir s’expliquer les accès de spleen du « père » Hoop ? Ce n’est pas que l’idée de la mort répugnât à ce grand travailleur ; dépouillée des horreurs dont les religions modernes l’entourent, elle lui apparaissait comme l’espoir d’un repos bien gagné et cette mélancolie sereine lui inspirait un jour[2] une page d’une incomparable éloquence :

« Pourquoi, plus la vie est remplie, moins on y est attaché ? Si cela est vrai, c’est qu’une vie occupée est communément une vie innocente ; c’est qu’on pense moins à la mort et qu’on la craint moins ; c’est que, sans s’en apercevoir, on se résigne au sort commun des êtres qu’on voit sans cesse mourir et renaître autour de soi ; c’est qu’après avoir satisfait pendant un certain nombre d’années à des ouvrages que la nature ramène tous les ans, on s’en détache, on s’en lasse, les forces se perdent, on s’affaiblit, on désire la fin de la vie, comme après avoir bien travaillé, on désire la fin de la journée ; c’est qu’en vivant dans l’état de nature, on ne se révolte pas contre les ordres que l’on voit s’exécuter si nécessairement et si universellement ; c’est qu’après avoir fouillé la terre tant de fois, on a moins de répugnance à y descendre ; c’est qu’après avoir sommeillé tant de fois sur la surface de la terre, on est plus disposé à sommeiller un peu au-dessous ; c’est, pour revenir à une des idées précédentes, qu’il n’y a personne parmi nous qui, après avoir beaucoup fatigué, n’ait désiré son lit, n’ait vu appro-

  1. Premiers Lundis, t. I, p. 385.
  2. 23 septembre 1762.