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parfois dans les papiers de son mari, c’était toute une société de voisins vulgaires que le philosophe hébergeait un peu malgré lui et qui tenaient en médiocre estime cet homme toujours occupé d’une besogne fort mal vue du clergé et du parlement. Pendant la détention de Diderot, elle avait plus d’une fois retenu à dîner Rousseau, qui l’en a remerciée dans les Confessions en la traitant de « harengère » ; mais il ne semble pas que d’Alembert, d’Holbach, Grimm se soient jamais arrêtés au quatrième étage de la rue Taranne ; ils montaient tout droit à « l’atelier » du cinquième : on ne voit guère chez Mme « Diderot que l’abbé Sallier, de la Bibliothèque royale, ou Bemetzrieder, le maître de clavecin d’Angélique. Si, par grand hasard, Mme Geoffrin rend visite au ménage, c’est pour traiter Diderot « comme une bête » et conseiller à sa femme d’en faire autant. « La première fois, elle vint pour gâter ma fille  ; elle serait venue pour gâter ma femme et lui apprendre à dire des gros mots et à mépriser son mari ». (19 septembre 1767).

« Je fais bien de ne pas rendre l’accès de mon cœur facile, écrivait Diderot, en 1765, à propos de Jean-Jacques ; quand on y est une fois entré, on n’en sort pas sans le déchirer ; c’est une plaie qui ne cautérise jamais bien. » Les amants fidèles et les amis solides ont de ces méfiances toujours inutiles ; Diderot se défendait trop du besoin d’aimer pour ne pas y succomber. La rupture avec Rousseau était définitive ; d’Alembert s’était singulièrement refroidi. « Ils étaient quelquefois deux ans sans se voir », nous dit Mme de Vandeul. Il lui restait Grimm, pour qui il eut une constante et mutuelle affection, malgré des heurts inévitables entre son caractère bouillant et la raideur germanique dont Grimm ne savait pas se départir ; il lui restait d’Holbach, dont l’amitié ne se démentit jamais non plus et qu’il entretint « avec la plus grande liberté » le matin même de sa mort[1]. Il lui restait Galiani et Georges Le Roy ; il avait même Naigeon et Damilaville, ses caudataires ; mais ce qu’il devait chercher, vers l’âge de quarante ans, c’était un cœur féminin qui répondît à son besoin de tendresse, c’était un esprit ouvert et cultivé qui le dédommageât du silence que le caractère de sa femme l’obligeait à garder.

Il ne devait fréquenter Mme d’Épinay que trois ou quatre ans plus tard ; encore semble-t-il que la présence ou les instances de Grimm furent la cause déterminante de ses rapides séjours à la Chevrette et à la Briche. Les prétentions littéraires de l’hôtesse du « triste et magnifique château » devaient trop lui rappeler, d’ailleurs, celles de Mme de Puisieux.

À quelle date précise commencèrent ses relations avec la famille

  1. Grimm. Correspondance littéraire, août 1784.