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pas affaire à un ingrat. Eh bien, bourreau, tu l’as donc entendue, cette voix ! Si tu aimais autant l’éloge que tu crains le blâme, tu serais aussi flatté de transmettre à la postérité une belle chose qu’effrayé de lui transmettre une sottise. Le concert lointain frapperait aussi délicieusement ton oreille qu’elle le fut cruellement du bruit des huées à venir. Conviens donc, mon ami, que j’ai deux puissants ressorts pour faire le bien et qu’il t’en manque un. Conviens que le reproche ne pénétrant pas plus le silence de la tombe que l’éloge, ton aveu renverse une bonne moitié de tes objections.

Les deux cahiers où je m’accusais d’avoir un peu oublié ma bonhomie sont les derniers que je vous remis en partant. J’ai tout dit, et vous avez essuyé le non plus ultra de ma méchanceté, qui n’est pas grande. Je tire quelquefois mes ongles, mais aussitôt ils rentrent dans leurs étuis, et je fais patte de velours. J’insérerai de mon mieux vos additions que Prault ne m’avait point remises, et que vous avez bien fait de m’envoyer.

Votre épître à Voltaire est fort bonne. La réponse est sèche et polie.

Celui que j’aime, celui qui a la mollesse des contours de la femme, et, quand il lui plaît, les muscles de l’homme ; ce composé rare de la Vénus de Médicis et du Gladiateur, mon Hermaphrodite, vous l’avez deviné, c’est Grimm.

Oh ! j’en conviens, rien n’était plus aisé que d’endormir et de bercer notre voyageur. Il est si simple ! Mais il me semble que si, laissant à part les ridicules de ses compagnons de voyage et même les siens, on lui eût enjoint de parcourir l’empire, de faire ses observations sur la population et la nature des provinces… Mais laissons cela. Cet homme est un homme rare ; c’est moi qui vous le dis. Il est à Paris. J’en fais plus de cas que du Montesquieu. Je vous en dirais les raisons, si le prince de Galitzin ne les avait exposées assez en détail, et aussi bien que je le saurais faire ; et ne croyez pas que je sois le seul de mon avis. Mon ami, vous n’avez pas assez lu son ouvrage. Ses principes seront adoptés par ceux mêmes qui les combattent le plus fortement, et nous sommes encore assez jeunes pour voir le mérite de ses sectateurs rabaissé par le reproche de plagiat qu’on ne manquera pas de leur faire.

Il s’agissait d’apprécier la dépense. Il écrivit à Moscou qu’ils