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C’est-à-dire de noir. Bonne plaisanterie de l’homme de Genève.

À présent, rappelez-vous votre maxime : qu’il faut bien savoir pour bien juger, et ne m’accusez plus du voyage de M. de la Rivière à Pétersbourg. Quoi qu’il en soit, il est bien extraordinaire que cet homme ait eu une rétention d’impertinences de cinquante ans, qu’il soit allé évacuer à Pétersbourg. Il ne se plaint, ni de son séjour, ni de son renvoi, et il ne m’a jamais parlé de l’impératrice que dans les termes qu’il me convenait d’entendre, ceux du respect et de la vénération ; n’ayant d’autre regret que d’avoir été inutile. Cela est bien sage pour un fou, cela est bien modéré pour un mécontent. On a lieu de se croire honorablement traité, quand on reçoit plus qu’on ne croit avoir mérité. Nous en sommes là.

Après ce préambule, j’espère que je répondrai de suite à vos cinq ou six lettres, à commencer par celle du 31 mai.

Que je ne m’attende pas à vingt pages ? Je vois, mon ami, que le temps ne vous dure pas, quand vous m’écrivez. Depuis trois mois j’en ai reçu plus de quarante. Aimez-moi autant que je vous aime, écrivez-moi le plus souvent et le plus que vous pourrez. Je suis en fonds. J’ai de quoi m’acquitter. Il semble qu’on soit moins sûr de l’existence et des sentiments de ceux qui nous sont chers, à proportion de l’intervalle qui nous en sépare. La surprise entre pour quelque chose dans le plaisir de recevoir de leurs nouvelles. On se dit au fond du cœur : Il vit ! il pense à moi ! il m’écrit ! il m’aime toujours.

Vous ne lisez plus, et vous avez toujours la folie d’acquérir des livres. C’est que vous vous proposez de compenser un jour le temps perdu. Il y a vingt ans que je me repais de cette chimère. Ma bibliothèque, ou plutôt celle de l’impératrice, s’augmente de jour en jour ; et mes lumières ne s’étendent pas. Je m’en console quelquefois en imaginant qu’un homme de génie n’a presque pas besoin de lire.

Cela n’est peut-être pas si faux qu’il le paraît. Il n’y a de plat là dedans que la trop bonne opinion qu’on a de soi. Mais dans les occasions où il faut se dépriser à ses propres yeux ou se surfaire, le dernier parti est le plus doux.

C’est donc le Dévoilé, l’Imposture sacerdotale, la Théologie portative, les Prêtres démasqués, les Trois imposteurs, le Philosophe militaire, le Catéchumène, les Lettres à Séréna, les