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ment. Ce que vous m’avez appris, ce n’est pas à mieux connaître les hommes dont je m’engoue, c’est à mieux connaître les lieux où je les envoie. J’irai certainement en Russie. Je sens mon cœur qui m’y pousse sans cesse, et c’est une impulsion à laquelle je ne saurais résister, mais je n’y enverrai plus personne. J’ai pourtant pris sur moi de proposer à M. le général Betzky celui qui a dessiné tout ce qu’il y a de bonnes planches dans notre Encyclopédie. C’est un homme d’un mérite rare, même en ce pays-ci, mais je ne serais pas fâché qu’on l’y laisse.

Je tremble que votre liaison avec M. de la Fermière ne finisse encore par quelque aventure déplaisante. Je n’oserais souhaiter qu’elle devienne intime. Mon ami, il y a peu d’hommes faits pour vous, et bien moins encore pour lesquels vous soyez fait. Cependant, si vous revoyez M. de la Fermière, saluez-le de ma part, dites-lui que je conserve pour lui tous les sentiments qu’il m’a inspirés et que j’attends de pied ferme toutes ses commissions. La belle occasion que le décès de Gaignat pour enrichir la bibliothèque du grand-duc ! J’ai reçu et remis votre seconde lettre à Mme Geoffrin. J’ai vu avec satisfaction que vous n’aviez point été offensé de la liberté que j’avais prise de supprimer la première. Et ce projet d’envoyer ici un modèle de votre monument dure-t-il encore ? La belle extravagance ! Il faut avoir une cruelle avidité de critiques et de désagréments.

Et que veux-tu qu’ils t’apprennent, maudit homme que tu es ? Est-ce qu’ils en savent plus que toi ? Est-ce que tu ne les connais pas tous ? Est-ce que tu ne sais pas qu’ils seront muets sur les beautés et qu’ils ne cesseront de faire retentir la ville du moindre défaut ? Est-ce que ces critiques, bien ou mal fondées, ne passeront pas d’ici à Pétersbourg ? Est-ce que nos indignes périodistes ne les assaisonneront pas de toute l’amertume qu’ils y pourront mettre ? Est-ce que leurs inepties ne deviendront pas l’entretien de Pétersbourg ? Est-ce qu’on n’abondera pas dans votre atelier pour les vérifier ? Est-ce qu’on ne les verra pas sur l’ouvrage, si vous ouvrez votre porte ? Est-ce qu’on n’assurera pas qu’elles y sont, si vous la fermez ? Est-ce que vous ne sentez pas toutes ces suites fâcheuses ? Mon ami, je te conjure de travailler en paix, et de ne pas vouloir