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mon ami, si M. de la Rivière était arrivé clandestinement et seul à Pétersbourg ! M. de la Rivière n’a fait qu’une sottise, mais elle est grande. Je vous déclare que si M. de la Rivière n’est pas un homme sur lequel on puisse compter, dont on puisse répondre, il ne faut compter sur personne, il ne faut répondre de personne. Je vous déclare que rien ne peut lui ôter ici la réputation d’homme de bien. Je vous déclare que, pour les bons penseurs, il n’y a nulle comparaison à faire de son ouvrage à celui de Montesquieu. Je vous déclare que cent mille pointes et autant de phrases ingénieuses de celui-ci n’équivaudront jamais à une ligne solide, pleine de sens et grave du premier. Nous sommes encore trop jeunes pour apprécier les vues de ce philosophe-ci. Il faut attendre. Je vous déclare que quelques gens à préventions, qui se sont donné les airs d’écrire contre ses principes, ont été pliés comme des capucins de cartes et fouettés comme des enfants ; je vous abandonne Agar et Sara avec tous leurs serviteurs, mais laissez en paix le père des vrais croyants. Au reste, l’impératrice, toujours grande, toujours sage, toujours magnifique et bienfaisante, vous a donné une bonne leçon par la manière honorable dont elle a renvoyé le législateur athénien. J’aurais pu me compter aussi parmi ceux à qui vous avez manqué, et je vous déclare que j’en aurais, je crois, usé tout autrement avec quelqu’un qui m’eût été adressé de votre part, quelque raison que j’eusse eu de m’en plaindre. Mlle Collot, modèle ! M. Falconet, petit sculpteur ! Le monument du czar absurde, infaisable ! Comment peut-on s’offenser de ces platitudes-là, et comment peut-on supposer qu’elles soient échappées à un homme sensé ? Je les aurais entendues de mes propres oreilles que j’aurais eu peine à les croire. Quoi qu’il en soit, chacun à sa manière de sentir. J’use du privilège de l’amitié, je vous dis la mienne sans aucun détour. Et le prince de Galitzin, croyez-vous que cette aventure n’ait pas été tout à fait déplaisante pour lui ? Encore une fois, mon cher Falconet, si j’avais été à côté de vous, je suis sûr que cette affaire n’aurait pas eu la moindre suite. Je vous aurais lié les mains jusqu’au lendemain, et le lendemain, vous n’y auriez plus pensé qu’avec indifférence ou dédain. Moins votre compatriote avait d’agréments à Pétersbourg, plus vous auriez eu de ménagements pour lui. Mon ami, vous êtes chaud, méfiez-vous du premier mo-