Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/261

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je ne vous dis rien du mérite de l’artiste, que vous connaissez mieux que moi. Il attend qu’on lui fasse signe. Il n’est pas riche. Il a une femme et une poussinée d’enfants ; et je le croirais au moins aussi propre que Michel, son frère, à conduire une école.

Est-ce là tout ? Non, je vous confie en secret que le prince de Galitzin travaille à mettre en russe la vie des plus célèbres peintres italiens, flamands et français ; tâche à laquelle il trouve toutes les difficultés d’une langue qui n’est pas faite et qu’il fera.

Puisque je suis en train et qu’il me reste encore de la marge, disons tout, ne fût-ce que pour ne pas envoyer si loin du papier blanc. Les ânes fourrés de Sorbonne ont extrait trente-sept impiétés de Bélisaire, parmi lesquelles celle-ci : « La vérité brille de sa propre lumière, et les esprits ne s’éclairent point par la flamme des bûchers » ; d’où vous voyez que ces tigres, que j’appelais des ânes, sont toujours également altérés de sang hérétique, et qu’ils ont un grand goût pour les auto-da-fé. On a beaucoup murmuré, mais comme les philosophes ont vu qu’on ne poursuivait pas ces onagres à coups de pierres dans les rues, ils se sont mis à leur jeter de la boue, et à présent que je vous parle, les fourrures sorboniques en sont honnêtement mouchetées.

On a fait l’épitaphe du comte de Caylus en deux vers d’une harmonie tout à fait analogue au caractère de l’homme :


Ci-gît un antiquaire acariâtre et brusque.
Ah ! qu’il est bien placé dans cette cruche étrusque !


Si l’on vous dit que ces deux vers sont de moi, c’est une médisance[1].

Adieu, adieu ; voilà Mme Diderot qui dit que je vous fais un livre, et non pas une lettre.

Vous êtes embrassés tous les deux par la mère et par l’enfant. Valete iterumque valete.

  1. Attribué parfois à Marmontel, qui ne le cite pas dans ses Mémoires, ce distique est certainement de Diderot.