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homme[1]. Il a reçu de la nature une belle âme, un excellent esprit, des mœurs simples et douces. La méditation assidue sur les plus grands objets et l’expérience des grandes affaires ont achevé de perfectionner l’ouvrage de nature. Ah ! si Sa Majesté Impériale a du goût pour la vérité, quelle sera sa satisfaction ! je la devine d’avance et la partage. Nous nous privons de cet homme pour vous. Il se prive de nous pour elle. Il faut que nous soyons tous étrangement possédés de l’amour du genre humain. Il sera précédé d’un ouvrage intitulé : De l’ordre naturel et essentiel des sociétés policées. C’est l’apôtre de la propriété, de la liberté et de l’évidence. De la propriété, base de toute bonne loi ; de la liberté, portion essentielle de la propriété, germe de toute grande chose, de tout grand sentiment, de toute vertu ; de l’évidence, unique contreforce de la tyrannie et source du repos. Jetez-vous bien vite sur ce livre. Dévorez-en toutes les lignes comme j’ai fait. Sentez bien toute la force de sa logique, pénétrez-vous bien de ses principes, tous appuyés sur l’ordre physique et l’enchaînement général des choses ; ensuite allez rendre à l’auteur tout ce que vous croirez lui devoir de respect, d’amitié et de reconnaissance. Nous envoyons à l’impératrice un très-habile, un très-honnête homme. Nous vous envoyons à vous un galant homme, un homme de bonne société. Ah ! mon ami, qu’une nation est à plaindre, lorsque des citoyens tels que celui-ci y sont oubliés, persécutés et contraints de s’en éloigner, et d’aller porter au loin leurs lumières et leurs vertus ! Nos premières entrevues se sont faites dans la petite maison. Nous nous y retrouverons aujourd’hui pour la dernière fois. Lorsque l’impératrice aura cet homme-là, et de quoi lui serviraient les Quesnay, les Mirabeau, les de Voltaire, les d’Alembert, les Diderot ? À rien, mon ami, à rien. C’est celui-là qui a découvert le secret, le véritable secret, le secret éternel et immuable de la sécurité, de la durée et du bonheur des empires. C’est celui-là qui la consolera de la perte de Montesquieu.

Le récit des bontés, prévenances et attentions du général Betzky, celui de la bienveillance continue de Sa Majesté pour vous, m’affectent toujours d’une manière délicieuse et nouvelle, et cela sans me surprendre.

  1. Le Mercier de la Rivière.