Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mécaniques ou libéraux, de la langue riche et nombreuse du peuple civilisé.

Que cet ouvrage n’est point l’Encyclopédie, mais qu’il la suppose faite et mieux faite qu’elle ne l’est.

Que les générations ne sont par toute la terre qu’une longue suite d’enfants qui s’accoutument successivement à parler l’idiome de l’ignorance et du mensonge.

Qu’il faut que ce vice se perpétue à jamais tant que des hommes doués de lumières et de hardiesse ne s’occuperont pas de l’instrument qui sert de véhicule à la pensée.

Que les derniers efforts et les derniers souhaits des meilleurs esprits dans tous les temps et chez toutes les nations se sont toujours tournés sur cet instrument général et commun.

Qu’après avoir longtemps réfléchi, médité, écrit, expérimenté, ils ont fini par sentir que la langue restant imparfaite, les hommes continueront à prononcer les mêmes mots et à dire des choses très-diverses, et, se payant réciproquement de sons, ne paraîtraient d’accord que tant qu’ils ne s’expliqueront pas. D’où ils ont conclu unanimement la réinstauration de la langue.

Que s’ils ont tous été détournés de ce projet, c’est moins encore l’étendue et la difficulté de l’entreprise qui les ont arrêtés que le péril qu’ils y voyaient.

Qu’un vocabulaire grammatical consiste à marquer l’usage, qu’un vocabulaire philosophique consiste à le rectifier.

Que vingt à trente années de travail ont beaucoup abrégé l’ouvrage pour moi, et que cet ouvrage n’étant point destiné pour mon pays, le péril ne m’est rien.

Que je puis donc donner à un peuple naissant un idiome épuré qui deviendrait incessamment général e tcommun, et qui resterait le même, au milieu des plus grandes révolutions, et après elles.

Qu’il n’y a aucun grand principe de morale et de goût qu’on n’introduisît en exemple à la faveur des mots et de leurs acceptions diverses, et que le vocabulaire deviendrait en même temps un livre de mœurs.

Rêvez-y bien, mon ami : quelques savants, quelques bons esprits s’instruisent par les écrits et dans les bibliothèques, rectifiant par la réflexion, la lecture et la conversation, le vice