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restassent peut-être et qui convinssent à leur état et à leurs fonctions, et vous y trouvez à redire ; tant pis pour vous[1].

Vous revenez encore sur ce pauvre Nestor ; et, sans égard pour sa vieillesse, vous l’appelez stupide, vous lui reprochez de voir un assassinat de sang-froid. Et qui est-ce qui vous l’a dit ? pour le coup, ce n’est plus moi, c’est vous, mon ami, qui recelez dans votre portefeuille un croquis au moins du tableau de Polygnote. Vous auriez peut-être occupé Nestor à faire des remontrances à Néoptolème, ce qui eût été tout à fait contre les mœurs du temps[2].

Je juge d’une composition qui n’est pas sous mes yeux, je ne la connais que par la maussade description d’un voyageur qui ne l’a sûrement pas surfaite ; elle présente cependant encore un grand et bel ensemble à mon imagination : je demande si avec un tact fin, une connaissance délicate des choses qui s’enchaînent, d’expérience dans le progrès ordinaire des arts et de celles qui coexistent nécessairement sous un état donné de la société, il ne m’est pas permis, d’après des qualités et des circonstances énoncées, d’en présumer d’autres dont on a négligé de m’instruire ? Voilà proprement l’état de la question[3].

Un tableau commandé dans un grand détail est à coup sûr un mauvais tableau ; c’est presque exiger de l’artiste un autre technique que le sien. Mais si par supposition un peintre pouvait me rendre ou le sac de Troie ou tel autre sujet comme je le

  1. « J’aurais bien tort de vous chicaner ici, vous n’avez pas lu le paragraphe entier.

    « Vous complimentez on ne peut plus finement. Vous voulez sans doute me dire que j’ai bien fait de ne point blâmer ces guerriers ainsi coiffés et habillés autour de l’autel. Eh bien ! à vous entendre, on croirait que j’y ai trouvé à redire et que vous me le reprochez. Cela est trop subtil pour moi. »

  2. « Qui est-ce qui m’a dit que Nestor voyait un assassinat de sang-froid ? C’est Pausanias. Il me conte qu’il a un chapeau sur la tête et une pique à la main. Tout insipide descripteur qu’on soit, s’amuse-t-on à de telles niaiseries quand il y a mieux à dire ? et un mieux surtout qui doit être frappant, par l’intérêt qu’il met dans le sujet. »
  3. « J’attaque un tableau qui n’est plus. Vous défendez un tableau qui n’est plus. Je n’ai pour moi que la description de Pausanias. Votre besogne est bien plus aisée que la mienne, vous avez de plus votre imagination vive et brillante ; je ne me permets pas d’imaginer. Voilà, ce me semble, comment l’état de la question doit être généralisé. »