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par ses premières tentatives et encouragé par quelques hommes éclairés, il appliqua ses travaux à des ouvrages estimés, mais d’un usage moins étendu. On goûta quelques-uns de ses ouvrages, et ils furent enlevés avec une rapidité proportionnée à une infinité de circonstances diverses ; d’autres furent négligés, et il y en eut dont l’édition se fit en pure perte pour l’imprimeur. Mais le débit de ceux qui réussirent et la vente courante des livres nécessaires et journaliers compensèrent sa perte par des rentrées continuelles, et ce fut la ressource toujours présente de ces rentrées qui inspira l’idée de se faire un fonds.

Un fonds de librairie est donc la possession d’un nombre plus ou moins considérable de livres propres à différents états de la société, et assorti de manière que la vente sûre mais lente des uns, compensée avec avantage par la vente aussi sûre mais plus rapide des autres, favorise l’accroissement de la première possession. Lorsqu’un fonds ne remplit pas toutes ces conditions, il est ruineux. À peine la nécessité des fonds fut-elle connue que les entreprises se multiplièrent à l’infini, et bientôt les savants, qui ont été pauvres dans tous les temps, purent se procurer à un prix modique les ouvrages principaux en chaque genre.

Tout est bien jusqu’ici, et rien n’annonce le besoin d’un règlement ni de quoi que ce soit qui ressemble à un code de librairie.

Mais pour bien saisir ce qui suit, soyez persuadé, monsieur, que ces livres savants et d’un certain ordre n’ont eu, n’ont et n’auront jamais qu’un petit nombre d’acheteurs, et que sans le faste de notre siècle, qui s’est malheureusement répandu sur toute sorte d’objets, trois ou quatre éditions même des œuvres de Corneille, de Racine, de Voltaire suffiraient pour la France entière ; combien en faudrait-il moins de Bayle, de Moréri, de Pline, de Newton et d’une infinité d’autres ouvrages ! Avant ces jours d’une somptuosité qui s’épuise sur les choses d’apparat aux dépens des choses utiles, la plupart des livres étaient dans le cas de ces derniers, et c’était la rentrée continue des ouvrages communs et journaliers, jointe au débit d’un petit nombre d’exemplaires de quelques auteurs propres à certains états, qui soutenait le zèle des commerçants. Supposez les choses aujour-