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pas eu cent fois plus d’énergie qu’il n’en a montré ; si Cicéron, autant intéressé à la ruine de la république qu’il le fut à sa défense, du plus grand des patriotes qu’on le vit, n’aurait pas été le plus plat des conspirateurs. Pour savoir ce que deux positions ôtent ou donnent d’action à un ressort, il ne faut pas mettre en expérience deux ressorts différents, l’un dans une position, l’autre dans un autre : c’est un essai faux et stérile qui n’apprend rien ; mais il faut donner successivement à l’un ou l’autre de ces ressorts le même obstacle à vaincre, et comparer les résultats. Et puis vous avez une singulière façon d’argumenter ; je vous dis : L’homme de bien a plus d’énergie que le coquin ; et vous me répondez que Cicéron, qui est, à votre avis, une espèce de coquin, a moins d’énergie que Catilina qui en est un autre[1].

Savez-vous ce qui me passe par la tête, lorsque je vous trouve si souvent hors de la question ou à côté, tantôt en tendant la main, tantôt en tournant le dos, ce n’est pas que vous manquiez de logique, ce n’est pas que vous ignoriez le faible de votre opinion, l’ergo-glu de quelques-unes de vos réponses ; mais vous me payez d’esprit, quand vous me devez de la raison ; vous calfeutrez de votre mieux un vaisseau criblé qui fait eau de toute part, et vous aimez mieux la pièce à côté du trou que de ne point mettre de pièce.

Par exemple, lorsque je me présente devant vous tenant votre Pygmalion entre mes mains, et vous contraignant ou d’avouer le sentiment de la postérité et le respect de l’avenir,

  1. « Pour le coup, vous êtes à cent lieues, mon maître. En vous demandant si Catilina, scélérat, n’avait pas autant d’énergie que Cicéron, honnête homme, je fais bien moins pour ma cause que si je mettais l’un à la place de l’autre, ou tous deux dans les mêmes circonstances. Un homme, sans penser qu’il y a une postérité, emploie autant de ressources et d’activité qu’un autre qui, tous les jours, présente un cierge à cette divinité ; je n’en veux pas davantage. Que m’importe ici la scélératesse ou la probité ? Parbleu, vous me la donnez belle ! mon coquin de Catilina, à la place de Cicéron, eût été un géant effroyable sans doute. Mais, plus mal chaussé que le consul, dans un chemin plus difficile, il court aussi vite ; il est donc meilleur coureur. Eh ! ne vous y trompez pas sans cesse ; la bonne cause (de votre aveu) et non pas la postérité, eût produit cent fois plus d’énergie chez Catilina qu’il n’en a montré. Que faut-il de plus pour être un grand homme ? Il me reste à vous demander en quel endroit j’ai dit ou insinué que Cicéron était une espèce de coquin. C’est Démosthène qu’il fallait dire. »