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Tant mieux ; mais si la question générale était méprisable, il n’y fallait pas revenir. Si elle ne l’était pas, il fallait y penser davantage pour en parler mieux ; vous m’exhortez à vous gronder, et vous voyez que je m’en acquitte assez bien ; je ne vous demande pas la même grâce que vous m’accorderez bien sans cela[1].

Vous cherchez ensuite à rendre raison d’un coloris vicieux de Jouvenet, et peut-être avez-vous bien rencontré ; mais j’ai entendu là-dessus d’autres artistes, et leur explication de ce phénomène n’étant ni locale ni individuelle, mais applicable généralement à toutes les fausses manières de peindre, m’accommode davantage[2].

À vous entendre, on croirait que mon papier, griffonné à la hâte comme celui-ci, est rempli de ces interrogations injurieuses, vaines, savez-vous ceci ? savez-vous cela ? Je n’ai pris ce mauvais ton qu’une seule fois, et c’est trop ; mais c’est à propos de ce petit radoteur de Pline. Je vois qu’on vous impatiente aisément ; je vous trouve un peu dur dans la dispute, très-souvent sophiste, niant et avouant alternativement l’excellence du sentiment de l’immortalité, ici respectant l’avenir, là traitant son tribunal avec le dernier mépris, et je ne m’impatiente pas ; c’est qu’il faut que vous soyez vous, et que je sois moi. Et que m’importe en effet de quel avis vous soyez, et de quelle manière vous vous défendiez ? pourvu que je puisse dire en vous répondant : Mais c’est mon ami, c’est un homme du plus grand talent ; mais il est d’un probité rare, et quand il écrit, c’est comme le bon et caustique Lucilius…


Flueret lutulentus, erat quod tollere velles[3].


  1. « 1° Je ne serais pas revenu à, la question, si mes philosophes ne m’y avaient ramené. 2° Je n’ai besoin ni de physique, ni de métaphysique, ni d’optique, lorsque mon œil voit deux corps qui lui paraissent de même couleur. 3° Je ne vous gronderai pas ; d’autres en prendront la peine, si j’ai raison. Eh bien ! et je ne suis pas votre doux ami? »
  2. « Il ne tiendrait qu’à vous de vous rappeler nos entretiens sur la peinture, où je vous faisais de ces explications qui n’étaient ni locales, ni individuelles. Jouvenet avait de plus une cause pour peindre jaune qui lui était particulière, je vous l’ai dit ; elle ne vous convient pas, j’en suis fâché. »
  3. Horat., Sat. iv, lib. I.