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bien parler peinture et littérature ? Il peut donc être un garant sûr de l’estime générale et publique ? Cela suffit[1].

Il peut arriver aussi qu’un littérateur soit grand poëte, grand historien, écrivain merveilleux, et que l’affaire des beaux-arts soit lettres closes pour lui ; il peut arriver qu’il en juge, et qu’il en juge mal ; mais plus son témoignage aura de poids sur la postérité, puis il s’élèvera de voix qui réclameront contre ses jugements ; on creusera la terre, on confiera son ignorance aux roseaux et les roseaux répéteront[2] :


Auriculas asini Mida rex habet[3].


Quand je parle de la voix publique, il s’agit bien de cette cohue mêlée de gens de toute espèce, qui va tumultueusement au parterre siffler un chef-d’œuvre, élever la poussière au salon, et chercher sur le livret si elle doit admirer ou blâmer. Je parle de ce petit troupeau, de cette église invisible qui écoute, qui regarde, qui médite, qui parle bas, et dont la voix prédomine à la longue, et forme l’opinion générale ; je parle de ce jugement sain, tranquille et réfléchi d’une nation entière, jugement qui n’est jamais faux, jugement qui n’est jamais ignoré, jugement qui reste lorsque tous les petits intérêts particuliers se sont tus, jugement qui assigne à toute production sa juste valeur, jugement sans équivoque et sans appel, lorsque la nation, d’accord avec les plus grands artistes sur le mérite reconnu et senti des productions anciennes, se montre compétente dans la sentence qu’elle porte des productions modernes. C’est qu’en fait d’arts, quand on y regarde bien, on voit que la sentence publique est celle même des artistes qui donne le ton ; c’est qu’en fait de littérature, c’est celle des littérateurs que la foule a souscrite[4].

  1. « Oui vraiment, la page de Quintilien est judicieuse. Mais aussi ce n’est qu’une page, et qui ne contient que des éloges généraux sans détailler aucun ouvrage. Au seul endroit où il est parlé d’une statue, il a, ce me semble, fait un mauvais raisonnement. Je vous l’ai dit ailleurs, c’est le Jupiter Olympien. »
  2. « Vous avez raison jusqu’à un certain point. Vous dites la même chose plus bas, j’y répondrai alors. »
  3. Persius, Satira i.
  4. « Eh bien ! ne vous voilà-t-il pas encore de mon avis ? Vous dites en maître ce que j’ai balbutié en écolier ; il n’y a que cette différence entre votre paragraphe, et le mien ; je vous en remercie. C’est nous qui vous l’avons dit. »