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faut que je parle et que vous m’écoutiez avec indulgence. Je vous avouerai donc que tout ce que vous dites sur la disproportion de la figure et du lieu ne me touche point du tout. Et que m’importe s’il prend envie au Dieu d’abandonner son temple, qu’il brise la voûte de sa tête, que les murs et les combles soient renversés de deux coups de coude, et que tout l’édifice ne soit plus qu’un amas de décombres : je ne sais comment il est entré là, et je me soucie fort peu de savoir ce que le temple deviendra s’il en veut sortir. Le point important, c’est que, tandis qu’il y est, il frappe, il épouvante, il effraye ; qu’il soit grand de position, de caractère, d’expression ; que j’y reconnaisse ce Dieu du poëte qui ébranle l’Olympe du seul mouvement de ses noirs sourcils ; que je voie sa chevelure s’émouvoir sur sa tête immortelle, et que je sois incertain qui a le mieux connu Jupiter, ou de Phidias, ou d’Homère : peut-être même que, tandis que je suis prosterné devant le Jupiter de Phidias, l’idée que, s’il vient par hasard à se remuer, je suis enseveli sous des ruines, ajoute à ma terreur et à mon respect. Il n’y a peut-être pas de logicien qui ne raisonne comme vous ; mais il n’y a pas de poëte qui ne sente ici comme moi. Si j’osais, ou si je ne craignais que notre dispute n’eût point de fin, je vous confierais ici quelques-uns de mes paradoxes ; je vous demanderais quelle était l’espèce d’hommes qui remplissait les temples, pour qui et pour quoi sont faites les statues des dieux, et quel est l’artiste d’église que j’appellerai homme de génie[1] ?

La page de Quintilien sur les peintres et les sculpteurs est donc belle et judicieuse ? Il est donc possible à un littérateur de

  1. « Je vous répondrais : C’est celui qui sait le mieux en imposer aux hommes qui remplissent les temples ; et je reprendrais dans mon autre lettre ce que tout logicien dirait comme moi, parce que je ne connais d’autres moyens d’en imposer, tout étant bien d’ailleurs, que la proportion entre une statue et l’édifice qui la contient.

    « Quant au mérite propre de la statue de Phidias, souvenez-vous bien que je n’ai dit nulle part que ce fût un mauvais ouvrage. Mais quelqu’un serait-il assez inconséquent pour assurer que le Jupiter de Phidias et la Junon de Polyctète sont les deux plus parfaites statues de l’antiquité que l’on connaisse ? Il semble que pour être en état de porter ce jugement, il faudrait connaître la perfection de ces statues ailleurs que dans les livres anciens, et pouvoir les comparer avec l’Apollon, le Torse, le Gladiateur, dont les livres anciens ne parlent pas. »