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idée de l’art sublime du statuaire ; si une belle ligne ne périt point, votre gloire est donc en sûreté[1].

Votre jugement de Bouchardon, de Pigalle et de Falconet est un modèle d’impartialité. Je suis tenté de croire que la justice est votre qualité dominante, et la justice est la base de toutes les autres vertus[2].

Je vous en demande pardon, mais ce ne sont point les artistes qui m’ont appris, à moi, à préférer le Citoyen, malgré sa tête ignoble, aux deux autres figures, et je sentais très-bien, en regardant sa poitrine et ses jambes, que le bronze était chaud[3].

Je plaide donc votre cause, en recommandant aux littérateurs d’être instruits, afin que, dans l’avenir, on n’oppose pas de beaux éloges à de mauvais ouvrages ? Cela se peut, mais je ne l’entends pas ; il me semble, au contraire, que si le littérateur méprise la postérité, mon conseil est en pure perte[4].

J’en viens à votre examen du Jupiter Olympien de Phidias ; ici, vous êtes le maître, je suis le disciple, et j’ose n’être pas de votre avis. Si j’ai ma façon de sentir, si je veux être instruit, il

  1. « J’en accepte l’augure ; il serait trop malheureux de le refuser. »
  2. « J’accorde la majeure de ce grand argument ; je voudrais en savoir tirer toutes les conséquences. »
  3. « Je vous fais une assertion générale, et vous vous citez ; vous me faites une réponse particulière et individuelle. Comme je n’ai pas dit : C’est moi qui l’ai fait connaître aux gens du monde, je n’ai pas dit non plus : Ce sont les artistes qui l’ont fait connaître à Diderot. Mais j’ai écrit : C’est nous qui vous l’avons dit, à vous les gens du monde ; et je ne crois pas avoir besoin de rétractation. Mon ami, une belle preuve que vous l’avez vu sans aucun artiste, c’est que vous nommez la poitrine de préférence aux bras*. »
    * Il s’agit ici de la statue pédestre de Louis XV, que Pigalle avait exécutée pour la ville de Reims. Au-dessous de la figure du roi et autour du piédestal, on voit d’un côté un artisan nu, assis sur des ballots et se reposant de sa fatigue, et de l’autre une femme vêtue conduisant un lion par la crinière.

    Lors de l’exposition, à Paris, de ce monument, Falconet, qui n’aimait pas Pigalle, lui dit, après avoir bien vu son ouvrage : « Monsieur Pigalle, je ne vous aime pas, et je crois que vous me le rendez bien ; j’ai vu votre Citoyen ; on peut faire aussi beau, puisque vous l’avez fait ; mais je ne crois pas que l’art puisse aller une ligne au delà ». (Note de M. Walferdin.)

  4. « Vous ne voyez donc pas qu’il est question du littérateur qui fait passer nos éloges à la postérité, et de l’artiste jaloux d’y parvenir dont l’ouvrage ne répondrait pas à l’éloge ? C’est ce que vous avez dit ; c’est à quoi j’ai répondu : vous ne l’entendez pas ; que voulez-vous que j’y fasse ? Relisez encore une fois, vous l’entendrez peut-être. »