Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous les grands hommes se sont tendu à eux-mêmes dans tous les siècles, chez toutes les nations, et dans lequel je vous crois digne d’être pris ; c’est le caractéristique des âmes les plus héroïques, si souvent soutenues, encouragées dans les circonstances difficiles, par ce motif le plus désintéressé de tous ; c’est la réflexion nécessaire et la pensée consolante d’un esprit juste qui voit ce que les choses deviendront dans l’avenir ; c’est le catéchisme du patriote par excellence.

Je vous embarrasse pourtant, dites-vous ; c’est que je soulève votre âme noble et grande contre votre esprit rétif ; c’est que je parle à votre cœur ; c’est que je vous intéresse et vous touche. Vous ne craignez pas les gibets de la postérité ? Vous mentez, traître que vous êtes ; et la preuve, c’est que vous avouez que l’intrépidité de Fontenelle vous répugne. D’ailleurs, mon ami, il y a quelque différence entre fouler aux pieds le blâme de la postérité et mépriser son éloge ; on peut être jaloux de mon approbation, et insensible à ma menace, c’est une affaire de caractère[1].

Quant à l’opinion que vous avez de ce que vous appelez mon sermon égyptien, j’en appelle à toute âme honnête et tendre. J’en appelle à vous-même. Relisez-le, et dites-moi si vous n’aimez-pas, si vous n’estimez pas davantage mon Henri IV versant des larmes, que mon Falconet insultant durement à tout un peuple et à la plus auguste de ses cérémonies[2].

  1. « Je vous avais dit : Je brûlerais le mémoire que Fontenelle aurait laissé après lui, parce qu’il affligerait les miens. Je voudrais ne causer aucun mal à ceux qui seront après moi : et c’est Diderot qui tracasse un sentiment si honnête et si doux ! Je l’aurais respecté, ou je l’aurais encouragé. »
  2. « Si en français le mot vain signifie quelquefois une chose inutile et dont on peut se passer, si je m’en suis servi dans cette acception, je n’ai insulté durement à qui que ce soit, j’aurais respecté les larmes d’Henri IV ; mon âme est peut-être aussi tendre que l’était la sienne ; mais, mon ami, un sentiment n’est point un raisonnement. Si j’eusse vu la cérémonie, j’aurais fait comme Henri ; revenu dans mon cabinet, j’aurais raisonné et je vous aurais écrit : « Il faut bien compatir à la faiblesse humaine. Ad populum phaleras. »