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énergie. Il est trop lié. Belle générosité de sa part de renoncer à un lot qui ne fut jamais fait pour lui ! Il y a pourtant eu un Érostrate. Après cent mille honnêtes gens, je trouve encore un coquin pour moi.

Vous me faites l’honneur de m’interpeller sur le ressort des grandes choses, et je vous proteste avec toute la sincérité dont je suis capable qu’au milieu des persécutions que j’ai souffertes il était consolant pour moi d’être sûr que la chance tournerait un jour. Je voyais un avenir plus juste. Je me rappelais que le train du monde ne devait pas changer pour moi. Je me répétais ce beau vers d’Horace :


Ploravêre suis non respondere favorem
Speratum meritis[1].


Mais croyez que mon âme était flétrie, et que cent fois j’ai été tenté de me jeter entre les bras du repos, et de laisser là des aveugles qui frappent de leur bâton ceux qui veulent se mêler de leur rendre la vue.

Les hommes extraordinaires qui se suffisent pleinement à eux-mêmes : je n’y crois pas. Nous tenons tous plus ou moins de la coquette qui met des mouches au fond de la forêt, ou de la dévote qui fait une toilette de propreté, parce qu’on peut trouver un insolent. Pour vos fanatiques qui brûlent le ciel et éteignent l’enfer, je n’y réponds pas ; je ne prendrai pas l’essor extravagant et momentané d’un enthousiaste pour l’état naturel de l’âme. Vos athées ont mieux aimé mourir que de vivre déshonorés, c’est ce que les militaires font tous les jours ; et puis, qui vous a dit que quelque idée de postérité ne s’y mêlait pas ? Il faut un salaire à l’homme, un motif idéal ou réel. Faites mieux ; réunissez-les. Accordez-lui le bonheur tandis qu’il est, et montrez-lui la statue quand il ne sera plus. C’est le moyen de déployer toute son énergie.

Mais à quoi sert d’élever des monuments à ceux qui ne sont plus ? de décorer le marbre qui couvre leurs cendres froides de sublimes inscriptions ; de présenter aux citoyens les bustes des défenseurs de leur liberté ; de déposer dans des volumes

  1. Lib. II, Epist. i.