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changé la misère et l’Iliade contre l’opulence et la Pucelle ?

Ce n’est point à Homère, comme poëte, que Platon et d’autres hommes sages ont refusé leur hommage, c’est à Homère, comme théologien. Platon est son imitateur perpétuel. Horace a dit, à la vérité :


· · · · · · quamdoque bonus dormitat Homerus[1] ;


Mais lisez l’épître :


Trojani belli scriptorem, maxime Lolli,
Dum tu declamas Romæ, Præneste relegi
[2],


Et vous verrez qu’il le préfère aux philosophes Chrysippe et Crantor. Lisez l’endroit de son Art poétique où il se compare à d’autres poëtes, et vous verrez le cas infini qu’il en fait ; c’est celui-là, dit-il, qui


Non fumum ex fulgore, sed ex fumo dare lucem
Cogitat, ut speciosa dehinc miracula promat,
Antiphaten, Scyllamque, et cum Cyclope Charybdin
[3].


Si vous saviez, mon ami, quelle est l’énorme différence de tous les poëtes du monde à celui-là ! La langue de la poésie, il la parle comme si c’était la sienne. Les autres me présentent les plus nobles, les plus grandes, les plus savantes académies ; lui, il a toutes ces qualités, et jamais rien d’académique. Mais pour rentrer dans notre thèse, Homère comme Achille a son talon vulnérable ; c’est toujours un lâche qui le trouve.

Prendre la voix de Zoïle pour celle de la postérité, c’est prendre la feuille de Fréron pour le jugement de notre siècle. Est-ce là ce que vous voulez dire ? Chaque âge n’a pas son Homère, mais chaque âge a ses Aliborons.

Mais mon rêve est traversé par des amertumes ? Et votre journée n’a-t-elle pas les siennes ? En ce point, quelle différence entre la vie veillée et la vie rêvée ? Aucune. Mais en vérité,

  1. Horat., de Arte poetica, v. 357.
  2. Ibid., Epist. i. lib. II.
  3. Horat., de Arte pœtica, v. 143-145.