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est généreux de s’en contenter, Mais il faut voir comment Cicéron, Démosthène, Alexandre, tout ce qu’il y a eu d’hommes extraordinaires s’en sont enivrés. Dites-moi pourquoi plus une âme antique fut héroïque, plus je la trouve pleine de cet enthousiasme ?

Je reviens à cet ami qui a adressé son ouvrage à ceux qui viendront après lui. À qui cet homme pensait-il en écrivant sa préface ? De qui s’est-il occupé dans le cours de son ouvrage ? À qui a-t-il parlé ? Avec qui a-t-il conversé ? Avec la postérité, mon ami ; avec nos neveux. Auriez-vous eu le front de dire à cet auteur qu’il était fou ? L’auriez-vous pensé ? Mais je voudrais que vous le vissiez, lorsque je suis seul avec lui dans son museum, me montrer du doigt ses posthumes et me dire : Ils les auront un jour. Je voudrais que vous vissiez la joie qui éclate sur son visage, lorsqu’il ajoute : Les scélérats hypocrites, les abominables tyrans en seront réduits à frémir autour de ma tombe ! Cette joie n’est-elle pas réelle ? Ce sentiment n’est-il pas juste, noble, naturel, honnête, sensé ? Pour être sage, à votre avis, fallait-il que cet homme restât dans l’oisiveté ? Exigeriez-vous qu’il demeurât indifférent, stupide, vis-à-vis de ses productions ? Et le blâmerez-vous de se repaître d’avance du bien qu’elles feront, et du jugement qu’on en portera !

Est-ce que vous ne voyez pas que le jugement anticipé de la postérité est le seul encouragement, le seul appui, la seule consolation, l’unique ressource de l’homme en mille circonstances malheureuses ? Permettez donc que je m’écrie encore une fois : Ô postérité sainte, à combien de maux les hommes refuseraient de s’exposer sans toi ! Combien de grandes actions ils ne feraient point, à combien de périls ils se soustrairaient ! C’est ton cri perçant qu’ils ont entendu qui les a élevés au-dessus des travaux, des dégoûts, des supplices, des terreurs de toute espèce. Combien de fois n’ont-ils pas méprisé l’éloge de leurs contemporains pour s’assurer du tien !

Non, non, monsieur, vous vous trompez. Que le grand artiste astronome sache tout seul, ou sache avec toute la nation qu’il est un moment fixe où la terre sera rencontrée dans un point de son orbite par un corps céleste qui la dispersera en mille pièces, et cette découverte flétrira son âme, et je ne me persuaderai jamais qu’elle n’opère pas sourdement en lui et que la