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chaud. Je la trouvai étalée sur une bergère dans le plus grand déshabillé ; je m’approchai des pieds du lit et des siens ; je pris les bords de la gaze qui la couvrait et je la levai ; elle me laissa faire. Je lui dis qu’elle était belle ; et à ma place et à mon âge il était trop difficile de ne pas la trouver telle. Je me disposais à appuyer mon éloge, lorsque, interposant sa main entre ses charmes et mon désir, elle m’arrêta tout court par ce discours étrange : « Mon ami, voilà qui est fort beau (ou fort bien, je ne sais lequel des deux elle a dit) ; mais je ne suis pas sûre de moi, et je ne sais, ajouta-t-elle, pourquoi je serais désespérée que tu eusses à te plaindre de ma complaisance. Il y a là, de l’autre côté de ma porte, un grand benêt qui me presse ; la première fois je le laisserai aller, et nous saurons si tu peux accepter sans conséquence fâcheuse ce que je ne suis que trop disposée à t’accorder. » L’expérience se fit, le grand benêt voisin en fut malade à mourir ; et j’échappai par une grâce spéciale de la Providence, qui ne m’a jamais fait que le bien de me sauver du mal, à un accident dont les libertins se rient, mais qui me fait frissonner…

Gardez-vous bien de communiquer ces historiettes à Uranie ; vous rempliriez son âme d’un trouble qui ne la quitterait plus ; elle verrait son fils environné des mêmes périls sans se promettre pour lui le bonheur qui m’en a sauvé.

Adieu, mon amie. Vous voyez bien que ce n’est là qu’un fragment d’une lettre que je n’ai pas le temps d’achever. Il est tard, il faut que je sois contre-signe ; et si je ne me hâte pas de courir sur le quai des Miramionnes, je n’y trouverai plus personne. Adieu encore une fois, mon amie ; aimez-moi malgré tout ce que je vous confie. Que m’importe de devoir ce que je puis avoir de qualités estimables à la nature ou à l’expérience, pourvu qu’elles soient solides, que jamais la vanité ne les dépare, et que je reste plus convaincu que je ne l’ai été de ma vie qu’elles sont infiniment au-dessous du prix et de la récompense que vous y mettez ! Adieu pour la troisième fois. Mon respect, mon dévouement, mon amitié la plus tendre à Uranie, si vous avez le bonheur de la posséder.

L’homme à qui cette fille demandait la grâce de lui faire un enfant, souriait, plaisantait, disait peu de chose : l’affaire lui paraissait importante. Il demandait du temps pour s’y résoudre,