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monde-ci serait une bonne comédie, si l’on n’y faisait pas un rôle ; si l’on existait, par exemple, dans quelque point de l’espace, dans cet intervalle des orbes célestes où sommeillent les dieux d’Épicure, bien loin, bien loin, d’où l’on voit ce globe sur lequel nous trottons si fièrement gros tout au plus comme une citrouille, et d’où l’on observât, avec le télescope, la multitude infinie des allures diverses de tous ces pucerons à deux pieds, qu’on appelle des hommes ! Je ne veux voir les scènes de la vie qu’en petit, afin que celles qui ont un caractère d’atrocité soient réduites à un pouce d’espace et à des acteurs d’une demi-ligne de hauteur, et qu’elles ne m’inspirent plus des sentiments d’horreur ou de douleur violents. Mais n’est-ce pas une chose bien bizarre que la révolte que l’injustice nous cause soit en raison de l’espace et des masses ? J’entre en fureur si un grand animal en attaque injustement un autre. Je ne sens rien, si ce sont deux atomes qui se blessent ; combien nos sens influent sur notre morale ! Le beau texte pour philosopher ! Qu’en dites-vous, Uranie ?

C’est précisément parce que cette Profession de foi est une espèce de galimatias, que les têtes du peuple en sont tournées. La raison, qui ne présente aucune étrangeté, n’étonne pas assez, et la populace veut être étonnée.

Je vois Rousseau tourner tout autour d’une capucinière où il se fourrera quelqu’un de ces matins. Rien ne tient dans ses idées ; c’est un homme excessif qui est ballotté de l’athéisme au baptême des cloches. Qui sait où il s’arrêtera ?

Le texte courant de nos causeries, c’est tantôt la politique, tantôt la religion ; nous rabâchons notre catéchisme. Le plaisant de cela, c’est que Gros-Jean remontre à son curé ; il lui prêche ses propres sermons. Qu’il aille, qu’il aille ; n’est-on pas trop flatté de retrouver ses opinions dans l’âme de ses amis ?

Je vous embrasse de tout mon cœur. Je vous souhaite incessamment celle à qui vous ouvrirez votre âme, et à qui vous parlerez de moi. Voilà ma douzième ; je persiste.

Les journées très-chaudes sont suivies de soirées très-fraîches. Veillez sur votre santé ; ne vous exposez pas au serein ; vous connaissez quelle méchante petite poitrine de chat vous avez et à quels terribles rhumes vous êtes sujette. Si Uranie était à côté de vous, je serais plus tranquille.