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là de contrainte, de convenance, aucun de ces motifs qui forment les engagements ordinaires. S’il y eut jamais un sacrement, c’en fut un ; d’autant plus qu’il n’est pas dans la nature qu’un homme n’épousera qu’une femme. Elle oublie qu’elle est mariée. Elle oublie qu’elle est mère. Ce n’est plus un amant, c’est le père de ses enfants qu’elle quitte. Mlle  Arnould n’est à mes yeux qu’une petite gueuse. Elle a été se plaindre chez M. de Saint-Florentin que le comte l’avait menacée de l’empoisonner. À peine était-il sorti de Paris qu’il était suivi d’une lettre qui lui annonçait sa rupture[1]. À peine cette lettre était-elle partie, qu’elle s’arrangeait avec M. Bertin, et qu’elle signait les articles de sa nouvelle prostitution[2]. Je suis enchanté de m’être refusé à sa connaissance.

Et Mlle  Hus ? M. Bertin, en la quittant, lui a laissé tout ce qu’elle avait à elle. Il a fait mieux, il lui a fait demander l’état de ses dettes, qu’elle a enflées jusqu’à une somme exorbitante ; M. Bertin a payé sans discussion. Je ne sais pourquoi je vous entretiens de toutes ces misères-là.

Mme d’Épinay est à Paris. J’ai soupé hier au soir avec elle, Grimm et l’ami Saurin, qui avait de la gaieté et de l’embonpoint. Cependant l’histoire de sa chère moitié est publique. Il n’est question que de l’enfant. Le problème, c’est de savoir si on lui en fera confidence ou non. Nous devions aller, Grimm, son ami et moi, passer quelques jours au Grandval ; c’est une partie rompue par l’indisposition de Mme d’Esclavelles, mère de Mme d’Épinay, raison qui la rappelle à la Chevrette. Cependant nous partirons, Grimm, d’Alinville, Saurin et moi, le matin, et nous serons revenais le soir. Notre voyage sera gai. Je vous

  1. Voici cette lettre telle qu’elle est rapportée dans les Mémoires de Favart, t, I, p. 195 : « Monsieur mon cher ami, vous avez fait une fort belle tragédie, qui est si belle que je n’y comprends rien, non plus qu’à votre procédé. Vous êtes parti pour Genève afin de recevoir une couronne de lauriers du Parnasse de la main de M. de Voltaire ; mais vous m’avez laissée seule et abandonnée à moi-même ; j’use de ma liberté, de cette liberté si précieuse aux philosophes, pour me passer de vous. Ne le trouvez pas mauvais : je suis lasse de vivre avec un fou qui a disséqué son cocher, et qui a voulu être mon accoucheur dans l’intention sans doute de me disséquer aussi moi-même. Permettez donc que je me mette à l’abri de votre bistouri encyclopédique. »
  2. Voir sur les démêlés de Sophie et de Lauraguais la deuxième édition du charmant livre de MM. E. et J. de Goncourt : Sophie Arnould d’après sa correspondance et ses mémoires inédits.