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que le mobilier valût la peine d’être partagé : il est resté en entier à notre sœur. D’après ce que j’ai l’honneur de vous exposer, je me constitue juge dans cette affaire. J’appelle devant moi la fille de Desgrey, je l’interroge ; voici mes questions et voici ses réponses : « Avez-vous eu de l’argent en propre pendant la vie de vos père et mère ? — Oui. — Comment l’avez-vous acquis ? — Par un petit commerce qui leur était connu et qu’ils avaient autorisé. — Qu’est-ce que ces nippes que vous avez déposées en différents endroits ? — Des nippes acquises de mon argent. — Pourquoi les avez-vous déposées hors de la maison paternelle ? — Parce qu’elles n’y étaient en sûreté ni pendant la vie de mes parents ni après leur mort, et que m’appartenant j’en pouvais disposer à mon gré. — Pourquoi avez-vous changé si fréquemment les dépôts ? — Je les ai changés et multipliés par la terreur qu’inspiraient mes frères à mes dépositaires. — Pourquoi est-il arrivé quelquefois à vos parents de les ignorer ou du moins de le paraître, et de blâmer et vos emprunts et vos prêts et vos achats et vos dépôts ? — C’est qu’ils étaient également effrayés de la fureur de deux enfants capables de porter leurs mains parricides sur eux et fratricides s’ils m’avaient évidemment protégée. — Qu’est-ce qui vous autorise à prononcer si cruellement contre vos frères ? — Toute leur conduite. — Qui est-ce qui dépose de cette mauvaise conduite ? — Toute leur vie, des actes juridiques, une ville entière qui se tait, par terreur, des magistrats qui savent et qui n’osent parler, parce que tout le monde craint pour sa vie de la part de furieux qui comptent la leur pour rien. — Mais après le décès de vos parents, il y a preuve d’effets transportés par vous nuitamment. — Cela se peut. — Qu’est-ce que ces effets ? — Les miens. — Pourquoi, s’ils vous appartenaient, en celer le transport ? — Parce qu’ils m’auraient été ravis par la violence ou qu’il m’aurait fallu souffrir le partage entre moi et mes frères à qui ils n’appartenaient pas. — Mais vous avez engagé des particuliers à en revendiquer qui pouvaient être de la succession ? — Il est vrai. — Pourquoi l’avez-vous fait ? — C’est qu’ils n’étaient pas de la succession, qu’ils étaient à moi et à d’autres et qu’ils ne pouvaient revenir que par cette voie. — Vous conviendrez qu’il y a du moins beaucoup de louche, d’imprudence, d’apparences défavorables dans toute votre conduite ? — J’en con-