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Je ne vous dis rien des autres articles du traité ; j’espère que Votre Excellence reconnaîtra que l’intérêt n’en a dicté aucun, et que tout y a été dirigé à l’économie, à la célérité et au succès.

Il n’est pas indifférent que vous sachiez que les ouvriers qui accompagnent ou suivent mon ami ont, la plupart, femme et enfants qu’ils laissent dans ce pays, et à la subsistance desquels il est juste qu’ils pourvoient.

Tout en arrivant, mon statuaire vous présentera son ébauche. C’est un homme qui pense et sent grandement ; son idée m’a paru neuve et belle, elle est sienne ; il y est singulièrement attaché, et je pense qu’il a raison. Avec le talent le plus distingué, il a encore la modestie de ne pas trop présumer de lui-même ; cependant je ne doute point qu’il n’aimât mieux s’en revenir en France, après avoir supporté la fatigue d’un long et pénible voyage, que de se soumettre à faire une chose ordinaire et commune. Le monument sera simple, mais correspondra parfaitement au caractère du héros. On pourrait l’enrichir sans doute ; mais vous savez mieux que moi que, dans les beaux-arts, la richesse est presque toujours l’ennemie mortelle du sublime. Nos artistes sont accourus dans son atelier ; tous l’ont félicité de s’être affranchi de la route battue ; et c’est la première fois que j’ai vu une idée nouvelle aussi universellement applaudie, et des gens de l’art, et des gens du monde, et des ignorants, et des connaisseurs. Un de ses ouvriers lui dit à l’aspect de son modèle : « N’est-ce pas vous qui avez fait cela ? C’est le czar. »

Je relis le traité à mesure que j’ai l’honneur de vous écrire, et je n’y vois rien que Sa Majesté Impériale ne puisse approuver. Si cependant, contre notre attente, il se trouvait, soit dans la forme, soit dans quelques autres points, quelque chose qui ne s’arrangeât pas pourtant avec les coutumes, les mœurs, les usages du pays, on peut attendre du bon esprit de mon ami qu’il se prêtera à toutes les rectifications qui ne croiseront ni la célérité ni le succès de son entreprise.

Il ne me reste plus qu’à remercier Votre Excellence de toutes les choses obligeantes qu’elle a la bonté de me dire. Il est naturel que dans la seule occasion que j’aurai peut-être de ma vie de lui témoigner mon respect et mon dévouement, je sou-