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Les autres historiens nous racontent des faits pour nous apprendre des faits. Vous, c’est pour exciter au fond de nos âmes une indignation forte contre le mensonge, l’ignorance, l’hypocrisie, la superstition, le fanatisme, la tyrannie, et cette indignation reste, lorsque la mémoire des faits est passée.

Il me semble que ce n’est que depuis que je vous ai lu que je sache que de tous les temps le nombre des méchants a été le plus grand et le plus fort ; celui des gens de bien, petit et persécuté ; que c’est une loi générale à laquelle il faut se soumettre ; que, de toutes les séductions, la plus grande est celle du despotisme ; qu’il est rare qu’un être passionné, quelque heureusement qu’il soit né, ne fasse pas beaucoup de mal quand il peut tout ; que la nature humaine est perverse ; et que, comme ce n’est pas un grand bonheur que de vivre, ce n’est pas un grand malheur que de mourir.

J’ai pourtant lu la Vanité, le Pauvre diable, et le Russe à Paris ; la vraie satire qu’Horace avait écrite, et que Rousseau et Boileau ne connurent point, mon cher maître, la voilà. Toutes ces pièces fugitives sont charmantes.

Il est bon que ceux d’entre nous qui sont tentés de faire des sottises sachent qu’il y a sur les bords du lac de Genève un homme armé d’un grand fouet, dont la pointe peut les atteindre jusqu’ici.

Mais est-ce que je finirai cette causerie sans vous dire un mot de la grande entreprise ? Incessamment le manuscrit sera complet, les planches gravées ; et nous jetterons tout à la fois onze volumes in-folio sur nos ennemis.

Quand il en sera temps, j’invoquerai votre secours.

Adieu, monsieur et cher maître. Pardonnez à ma paresse.

Ayez toujours de l’amitié pour moi. Conservez-vous ; songez quelquefois qu’il n’y a aucun homme au monde dont la vie soit plus précieuse à l’univers que la vôtre.

Et Pompignanos semel arrogantes sublimi tange flagello.

Je suis, etc.