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XVI

AU MÊME.
[Automne 1757].

Il est certain qu’il ne vous reste plus d’amis que moi ; mais il est certain que je vous reste. Je l’ai dit sans déguisement à tous ceux qui ont voulu l’entendre, et voici ma comparaison : c’est une maîtresse dont je connais bien tous les torts, mais dont mon cœur ne peut se détacher. Une bonne fois pour toutes, mon ami, que je vous parle à cœur ouvert. Vous avez supposé un complot entre tous vos amis pour vous envoyer à Genève, et la supposition est fausse. Chacun a parlé de ce voyage selon sa façon de penser et de voir. Vous avez cru que j’avais pris sur moi le soin de vous instruire de leurs sentiments, et cela n’est pas. J’ai cru devoir vous donner un conseil et j’ai mieux aimé risquer de vous en donner un que vous ne suivriez pas que de manquer à vous en donner un que vous devriez suivre. Je vous ai écrit, homme prudent, une lettre qui n’était que pour vous et que vous communiquez à Grimm et à Mme d’Épinay ; et des embarras, des réticences équivalentes à de petits mensonges, des équivoques, des questions adroites, des réponses détournées ont été les suites de cette indiscrétion ; car après tout, il fallait garder le silence que vous m’aviez imposé, et tous vos torts avec moi ne pouvaient me dispenser de la parole que je vous avais donnée.

Autre inadvertance : vous me faites une réponse et vous la lisez à Mme d’Épinay, et vous ne vous apercevez pas qu’elle contient des mots offensants pour elle, qu’elle montre une âme mécontente, que ses services y sont appréciés et réduits, et que sais-je encore ? Et qu’est-ce, par rapport à moi, que cette réponse ? Une ironie amère, une leçon aigre et méprisante, la leçon d’un précepteur due à son clerc ; et voilà le coup d’œil sous lequel vous ne craignez pas de nous faire voir l’un et l’autre à une femme que vous avez jugée.

J’ignorais sans doute beaucoup de choses que peut-être il