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chez d’être sensée, raisonnable, circonspecte, et de profiter un peu de la leçon du passé pour rendre l’avenir meilleur.


XIV

À LA MÊME,
CHEZ M. JAMBELLANT, MARCHAND SELLIER, RUE PORTE-BASSE,
À BORDEAUX.
21 novembre 1768.

Je vais, mademoiselle, répondre à vos deux dernières lettres. Je suis charmé que vos dernières petites commissions aient été faites à votre gré. Je n’ai point traité votre oncle trop durement. Tout homme qui s’établira chez une femme, qui y boira, mangera, qui en sera bien accueilli, et qui, au moment où cette femme ne se trouvera plus en état de lui rendre les mêmes bons offices, la calomniera, la brouillera avec sa fille, et l’exposera à tomber dans l’indigence, est un indigne qui ne mérite aucun ménagement. Ajoutez à cela le mépris qu’il a dû m’inspirer par ses mensonges accumulés. Quand on est assez méchant pour faire une noirceur, il ne faut pas avoir la lâcheté de la nier. Votre mère ne voit point, n’a point vu la dame Traas ; elle n’a reçu de compagnie que celle que votre oncle lui a donnée, et il est faux qu’elle soit raccommodée avec lui. M. Roger, qui vous est attaché, qui vous sert, qui ne demande pas mieux que d’être utile à votre mère, également maltraité dans le libelle de votre oncle, n’a eu que le ressentiment qu’il devait avoir, et, à son âge, ressentir et se venger, c’est presque la même chose. Bref, mademoiselle, je ne saurais souffrir les gens à ton mielleux et à procédés perfides. Si vous eussiez donné un peu plus d’attention à la lettre qu’il vous a écrite, vous y eussiez reconnu le tour platement ironique, qui blesse plus encore que l’injure. On a fait toutes les démarches nécessaires pour préparer à sa fille un avenir moins malheureux ; il s’y est opiniâtrement refusé. Il a mieux aimé la garder et la sacrifier à ses prétendus besoins domestiques. Vous voilà quitte de ce côté, envers vous-