Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/400

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

là, on vous en plaignît. Les grands éclats de rire, la gaîté immodérée, les propos libres, marquent la mauvaise éducation, la corruption des mœurs, et ne manquent presque jamais d’avilir. Se manquer à soi-même, c’est autoriser les autres à nous imiter. Vous ne pouvez être trop scrupuleuse sur le choix des personnes que vous recevez avec quelque assiduité. Jugez de ce qu’on pense en général de la femme de théâtre par le petit nombre de ceux à qui il est permis de la fréquenter sans s’exposer à de mauvais discours. Ne soyez contente de vous que quand les mères pourront voir leurs filles vous saluer sans conséquence. Ne croyez pas que votre conduite dans la société soit indifférente à vos succès au théâtre. On applaudit à regret à celle qu’on hait ou qu’on méprise. Économisez ; ne faites rien sans avoir l’argent à la main ; il vous en coûtera moins, et vous ne serez jamais sollicitée par des dettes criardes à faire des sottises.

Vous vous époumonnerez toute votre vie sur les planches, si vous ne pensez pas de bonne heure que vous êtes faite pour autre chose. Je ne suis pas difficile ; je serai content de vous si vous ne faites rien qui contrarie votre bonheur réel. La fantaisie du moment a bien sa douceur, qui est-ce qui ne le sait pas ? mais elle a des suites amères qu’on s’épargne par de petits sacrifices, quand on n’est pas une folle. Bonjour, mademoiselle ; portez-vous bien ; soyez sage si vous pouvez ; si vous ne pouvez l’être, ayez au moins le courage de supporter le châtiment du désordre ; perfectionnez-vous. Attachez-vous aux scènes tranquilles, il n’y a que celles-là qui sont difficiles. Défaites-vous de ces hoquets habituels qu’on voudrait vous faire prendre pour des accents d’entrailles, et qui ne sont qu’un mauvais technique, déplaisant, fatigant, un tic aussi insupportable sur la scène qu’il le serait en société. N’ayez aucune inquiétude sur nos sentiments pour madame votre mère ; nous sommes disposés à la servir en toute occasion. Saluez de ma part l’homme intrépide qui a bien voulu se charger de la dure et pénible corvée de vous diriger : que Dieu lui en conserve la patience. Je n’ai pas voulu laisser partir ces lettres, que madame votre mère m’a remises, sans un petit mot qui vous montrât l’intérêt que je prends à votre sort. Quand je ne me soucierai plus de vous, je ne prendrai plus la liberté de vous parler durement ; et si je