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que madame avec l’habit de deuil et le visage de la gaieté et de la santé. J’y causai environ deux heures. Hier, je rencontrai M. Digeon ; nous nous embrassâmes fort tendrement. Je lui dis tout le bien que je pensais et que vous pensiez de lui. Quelques jours auparavant, j’étais allé faire visite à Mme Bouchard ; j’y passai la soirée fort gaiement ; nous fîmes là, elle, l’abbé de La Chau[1] et moi, de la philosophie très-folle et très-solide. Je lui trouvai bon visage. Notre arrangement pour les papillons, s’ils viennent, est tout convenu : autant de baisers que de papillons ; mais pas un baiser à la même place ; et comme il y aura beaucoup de papillons, j’espère qu’il n’y aura pas la largeur de l’ongle sur toute ma personne qui ne soit baisée plusieurs fois ; à moins que la dame n’aime mieux racheter tant de baisers à donner pour un seul qu’elle recevra et que je placerai à mon choix. J’ai été à la Briche, où M. Grimm et Mme d’Épinay se sont réfugiés contre les maçons qui démolissent le pignon sur la rue de la maison qu’occupe ou qu’occupait Mme d’Épinay, rue Sainte-Anne. À force de travailler, je suis au courant de mes affaires ; ma santé et ma gaieté reviendront ; quand ? quand vous reviendrez. J’ai et je donne à tout le monde l’espérance que ce sera incessamment ; cette espérance est si douce, que tout le monde la prend tout de suite. Je vous embrasse toutes de tout mon cœur ; je commence par maman.

Ne m’accusez pas, ni elle non plus, d’avoir oublié le jour de ma naissance ; ce jour-là ce fut celui de sa fête, et celui où on lui préparait au loin un joli enfant qui l’aimera, la respectera, lui restera attaché toute sa vie. Après maman, de droit, c’est mon amoureuse. Si je voulais, je ne lui dirais pas la moindre petite douceur, parce qu’elle me connaît, qu’elle est sûre de moi, et que mon éloignement, mon silence, mon absence, ne peuvent lui donner aucun souci sur mes sentiments. Pour vous, mademoiselle Volland, rendez-vous justice à vous-même, et tout sera dit ; et puis vous prenant toutes les trois à la fois, je vous réitérerai ce que je vous ai promis mille fois, que vous m’êtes infiniment chères autant que jamais ; que vous ne pouvez cesser de me l’être, et que j’ai résolu ; oh ! non ; ce n’est pas une ré-

  1. L’abbé Géraud de La Chau, bibliothécaire, interprète et garde des pierres gravées du duc d’Orléans, auteur d’une Dissertation sur les attributs de Vénus, Prault, 1776, in-4.