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d’un traité d’athéisme très-frais et très-vigoureux, plein d’idées neuves et hardies ; j’appris avec édification que cette doctrine était la doctrine courante de leurs corridors. Au reste, ces deux moines étaient les gros bonnets de leur maison ; ils avaient de l’esprit, de la gaieté, de l’honnêteté, des connaissances. Quelles que soient nos opinions, on a toujours des mœurs quand on passe les trois quarts de sa vie à étudier ; et je gage que ces moines athées sont les plus réguliers de leur couvent. Ce qui m’amusa beaucoup, ce furent les efforts de notre apôtre du matérialisme pour trouver dans l’ordre éternel de la nature une sanction aux lois ; mais ce qui vous amusera bien davantage, c’est la bonhomie avec laquelle cet apôtre prétendait que son système, qui attaquait tout ce qu’il y a au monde de plus révéré, était innocent, et ne l’exposait à aucune suite désagréable ; tandis qu’il n’y avait pas une phrase qui ne lui valût un fagot.

Pour toute réponse à mon amoureuse, je lui envoie une lettre de M. Dubucq, reçue presque au même moment que la sienne.

Je vous salue toutes trois, et vous embrasse de bon cœur. Çà, venez, approchez vos joues, mon amoureuse ; maman, donnez-moi votre main, vous ; mademoiselle Volland, tout ce qu’il vous plaira.

Bon ! j’allais oublier de vous dire que j’avais eu à la fin le courage d’aller dîner à la campagne, chez M. de Salverte. La journée se passa fort uniment, fort simplement, très-bien ; nos époux s’aiment, et sont dans la meilleure intelligence avec leurs parents. Chemin faisant, je descendis chez Casanove, et je trouvai Mme Casanove toujours avec de belles joues, de beaux yeux, de très-belles dents, comme je le lui sus très-bien dire. Son mari avait la complaisance de détourner la tête de temps en temps : vous remarquerez que cela se passait à la campagne, et par conséquence sans conséquence[1].

  1. La première femme de F.-J. Casanove, qui se maria deux fois, était, selon M. Jal, une figurante des ballets de la Comédie-Italienne.