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Chanson que tout ce que vous me dites de maman. Voici le fait. Vous lui persuadez qu’elle a les jambes mauvaises. Mme de Blacy lui fait compagnie ; et vous allez courir les champs en tête-à-tête avec l’abbé. Cela n’est pas maladroit.

Je suis fou à lier de ma fille. Elle dit que sa maman prie Dieu et que son papa fait le bien ; que ma façon de penser ressemble à mes brodequins, qu’on ne met pas pour le monde, mais pour avoir les pieds chauds ; qu’il en est des actions qui nous sont utiles et qui nuisent aux autres, comme de l’ail qu’on ne mange pas quoiqu’on l’aime, parce qu’il infecte ; que, quand elle regarde ce qui se passe autour d’elle, elle n’ose pas rire des Égyptiens ; que si, mère d’une nombreuse famille, il y avait un enfant bien méchant, bien méchant, elle ne se résoudrait jamais à le prendre par les pieds et à lui mettre la tête dans un poêle. Et tout cela en une heure et demie de causerie, en attendant le dîner.

Je l’ai trouvée si avancée, que dimanche passé, chargé par sa mère de la promener, j’ai pris mon parti et lui ai révélé tout ce qui tient à l’état de femme, débutant par cette question : « Savez-vous quelle est la différence des deux sexes ? » De là, je pris occasion de lui commenter toutes ces galanteries qu’on adresse aux femmes. « Cela signifie, lui dis-je : Mademoiselle, voudriez-vous bien, par complaisance pour moi, vous déshonorer, perdre tout état, vous bannir de la société, vous renfermer à jamais dam un couvent, et faire mourir de douleur votre père et votre mère ? » Je lui ai appris ce qu’il fallait dire et taire, entendre et ne pas écouter ; le droit qu’avait sa mère à son obéissance ; combien était noire l’ingratitude d’un enfant qui affligeait celle qui avait risqué sa vie pour la lui donner ; qu’elle ne me devait de la tendresse et du respect que comme à un bienfaiteur ; qu’il n’en était pas ainsi de sa mère ; quelle était la vraie base de la décence, la nécessité de voiler des parties de soi-même dont la vue inviterait au vice. Je ne lui laissai rien ignorer de tout ce qui pouvait se dire décemment, et là-dessus, elle remarqua qu’instruite à présent, une faute commise la rendrait bien plus coupable, parce qu’il n’y aurait plus ni l’excuse de l’ignorance, ni celle de la curiosité. À propos de la formation du lait dans les mamelles et de la nécessité de l’employer à la nourriture de son enfant ou de le perdre par une