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lets signés de sang. « Par exemple, ajoutai-je, il y a des services sur lesquels mon ami ne s’est jamais expliqué, mais j’y compte parce qu’ils entrent dans le pacte de l’amitié ; et quand l’occasion de les demander se présente, je les demande comme une promesse faite à l’instant où le nom d’ami fut prononcé entre nous. » Et puis nous voilà embarqués dans les devoirs de l’amitié. Là-dessus, je m’en tins à la fable de La Fontaine ; je voulais qu’on sortît de son lit sur l’inquiétude seule que je ne reposais pas dans le mien, et que l’on y plaçât son esclave, si j’y étais mal couché seul. M. Digeon secoua la tête, à l’esclave, et je lui dis que c’est que j’étais du Monomotapa, et qu’il n’en était pas.

Nous quittâmes ce propos, pour le long séjour que j’avais fait à la campagne et la manière dont on vivait au Grandval. On me demanda si la Baronne était fort heureuse. Je répondis, ce qui est vrai, qu’elle était heureuse partout où le Baron se trouvait bien, et où elle avait ses enfants et son luth. Pour entendre ce qui suit, il faut que vous sachiez que Mme Le Gendre a eu occasion de voir M. Suard deux ou trois fois chez Mme de Grandpré, et que M. Suard est ami de quinze ans de M. Digeon et de Mme de Grandpré. À propos de la différence de la vie que la Baronne menait au Grandval et de celle qu’elle mène à Paris, je remarquai, à son honneur, que les amusements de la ville qui lui convenaient le plus étaient sacrifiés sur-le-champ, lorsqu’elle ne remarquait pas sur le visage de son mari l’approbation la plus complète. Comme je prononçais ces mots, j’aperçus que M. Digeon et Mme Le Gendre se souriaient l’un à l’autre. Cela me déplut. M. Digeon s’en alla donner leçon au petit bonhomme. Nous restâmes seuls avec Mme de Blacy et moi. Alors, prenant un ton beaucoup plus ferme et plus sérieux que je n’ai coutume, je dis à Mme Le Gendre que ceux qui ne connaissaient Mme d’Holbach que sur la parole de M. Suard ne la connaissaient point, parce que M. Suard n’était pas payé pour en dire du bien. Je vis, et je crois que je vis bien, que Suard avait eu la malhonnêteté de décrier la baronne dans l’esprit de son ami ; que cet ami avait fait passer très-légèrement l’opinion fausse qu’il avait eue dans l’esprit de Mme Le Gendre. Après quelques minutes de silence, Mme Le Gendre alluma son bougeoir et disparut : ce qui acheva de confirmer mon soupçon. Voilà donc ce qu’on appelle