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à personne. En a-t-elle été plus ou moins heureuse ? C’est à vous à m’apprendre cela.

Tout en suivant ce propos, je la déposai chez elle, et je courus chez moi préparer mon sac de nuit pour le lendemain. J’étais attendu au Grandval. Grimm, Damilaville, le marquis de Croismare et un baron allemand de la cour de Gotha[1] m’y accompagnèrent. Grimm prit un fiacre qui le conduisit jusqu’à Bonneuil, d’où il acheva son voyage à pied… C’est donc le Grandval que j’habite à présent, et qui me gardera jusqu’à la fin du mois. Nos journées ici se ressemblent toutes ; nous nous levons de bon matin ; nous déjeunons gaiement ; nous travaillons, nous dînons ferme et longtemps ; nous digérons en plaisantant sur de grands canapés. Nous faisons deux ou trois tours de passe-dix ruineux ; nous prenons nos bâtons, et nous tentons des promenades immenses. De retour, nous nous mettons en bonnet de nuit. Kohaut et la Baronne prennent leur luth ; nous prenons des cartes ; le souper sonne ; nous soupons, car il faut souper sous peine de déplaire à la maîtresse de la maison. Après souper, nous causons, et cette causerie nous mène quelquefois fort loin. Nous nous couchons dans des lits si bons qu’on n’y saurait dormir, et le lendemain nous recommençons.

Je me hâte d’expédier le reste des manuscrits de M. de … pour me mettre à la besogne de Grimm, dont j’ai apporté tous les matériaux.

La Baronne est fort gaie. Mme d’Aine est plus folle que jamais. Nous avons eu ici son fils et sa bru. Un matin, j’entends de grands éclats de rire dans l’appartement de la belle-mère. On l’habillait. La Baronne et le Baron y étaient. J’y allai. « Vous venez tout à propos, me dit Mme d’Aine. — À quoi, madame, puis-je vous être bon ? — À prendre la mesure de mon derrière ; et puis vous en irez faire autant chez ma bru ; et quand vous serez bien assuré que le mien n’y fait œuvre, vous direz à M. le Baron, mon gendre que voilà, qu’il est un sot. » Vous penserez que tout cela est fort plat ; mais vous ferez bien mieux de penser que cela est innocent, que cela est gai, que nous sommes à la campagne, et que tout ce qui amuse et fait rire est fort bon.

  1. Le baron de Studuitz.