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le marquis Grimm et Damilaville, demain lundi. J’y passerai le reste du mois ; ce qui ne m’empêchera pas de recevoir vos lettres, et d’en mettre quelques-unes à la poste de Boissy.

J’ai oublié, dans ce détail de mes journées, beaucoup de choses. Le sort du prince est décidé. J’ai reçu des nouvelles de Russie. Il me vient un buste de l’impératrice. M. Falconet est brouillé avec le général Betzky ; mais il est tellement en faveur auprès de l’impératrice, qu’il est plus à redouter pour le ministre que le ministre pour lui. J’ai reçu de lui ce manuscrit sur le sentiment de l’immortalité et le respect de la postérité, que je craignais si fort qu’il ne publiât à Saint-Pétersbourg sans ma participation, et dans ce manuscrit un billet où il ajoute de nouvelles instances à celles que vous savez. Vous ne sauriez croire le souci que cela me cause. La reconnaissance que je dois à cette souveraine, la tendresse que j’ai pour vous me tiraillent d’une façon bien cruelle ; mais c’est vous, mon amie, qui l’emporterez toujours. Oui, je puis prendre la masse d’or que j’ai reçue[1] et la jeter aux pieds de l’ambassadeur ; mais je ne saurais me séparer de vous. Bonjour, mon amie. Ne me grondez point ; ne vous joignez point avec mes amis pour me rendre la vie amère. Je vous salue et vous embrasse de tout mon cœur. Présentez mes tendres respects, mon inviolable attachement à maman. Occupez-vous de sa santé ; qu’elle s’occupe de la vôtre. Hâtez-vous de revenir. Les beaux jours qu’il fait ! et les belles promenades que nous ferons encore à Meudon, si vous le voulez !

Bonjour, bonjour. J’espère que Damilaville, qui contresignera cette lettre, m’en remettra une de vous.

Mais n’admirez-vous pas avec moi combien nous jugeons mal des choses, et combien de fois nous sommes trompés dans les avantages que nous leur attachons ? J’ai vu ma fortune doublée presque en un moment ; j’ai vu la dot de ma fille toute prête, sans prendre sur un revenu assez modique ; j’ai vu l’aisance et le repos de ma vie assurés ; je m’en suis réjoui ; vous vous en êtes réjouies avec moi ; eh bien ! jusqu’à présent, qu’est-ce que cela m’a rendu ? qu’est-ce qu’il y a eu de réel dans tout cela ? Ce don d’une impératrice m’a contraint à un emprunt. Cet emprunt a diminué mon petit revenu ; le nouvel emploi de mon argent,

  1. Pour la vente de sa bibliothèque à Catherine.