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À propos, savez-vous bien qu’il ne tient qu’à moi d’être vain ! Il y a ici une Mme Necker, jolie femme et bel esprit, qui raffole de moi : c’est une persécution pour m’avoir chez elle. Suard lui fait sa cour avec une assiduité à tromper M. de … Aussi le pauvre M. de … l’est-il parfaitement, comme vous en jugerez par la mauvaise plaisanterie que je vais vous dire : « Eh bien ! lui disait M. …, quelques jours avant son départ, on ne vous voit plus, tendre grenouille ? — Qu’est-ce que cela signifie, tendre grenouille ? — Eh ! oui, est-ce que vous ne passez pas à présent vos jours et vos nuits à soupirer au Marais. » Mme Necker demeure au Marais. C’est une Genevoise sans fortune, qui a de la beauté, des connaissances et de l’esprit, à qui le banquier Necker vient de donner un très-bel état. On disait : « Croyez-vous qu’une femme qui doit tout à son mari osât lui manquer ? » On répondit : « Rien de plus ingrat dans ce monde ! » Le polisson qui fit cette réponse, c’est moi. Il s’agissait d’une femme : quand il s’agira d’un homme, laissez ma phrase telle qu’elle est ; finissez-la seulement par l’autre monosyllabe, si vous le savez. En effet, il y en a beaucoup des uns et des autres qui n’ont que la mémoire du service présent.

Mon autre aventure de fiacre, la voici : Il pleuvait à seaux ; il était onze heures et demie du soir ; je m’en revenais de la rue des Vieux-Augustins ; mon fiacre descendait la rue des Petits-Champs à toutes jambes ; un cabriolet la remontait encore plus vite ; les deux voitures se heurtent, et voilà le cabriolet jeté dans la porte vitrée du café, et la porte mise en cent mille pièces. Je vous laisse à deviner le reste de cette aventure : les cris mêlés du cafetier, du maître du cabriolet et de mon fiacre ; le cabriolet brisé et à moitié engagé dans la boutique du cafetier ; les chevaux abattus ; le valet à moitié rompu ; et les jurements du fiacre arrêté, et votre serviteur à pied au milieu du déluge. Il aurait été plus de deux heures du matin, quand je serais rentré chez moi, si cela m’avait arrêté. Voilà le pendant de la tempête de Vialet.

M. Le Gendre n’a rien épargné pour m’engager à prendre à côté de madame place dans sa voiture pour Reims ; mais madame m’a avoué ingénument que c’était bien à condition que je n’accepterais pas. Je ne puis supporter ces petites ruses-là. Si je l’avais pris au mot ! Oh ! l’on aurait alors travaillé à rendre