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saurais vivre que cette affaire ne soit éclaircie. — Ni moi non plus. »

Nous allons chez Damilaville. Il n’y était pas. Nous nous y donnons rendez-vous pour le lendemain. Cependant quelle nuit à passer ! Et personne à qui l’on puisse dire sa peine et qui la partage ! Où étiez-vous, mon amie ? Hier, nous vîmes Damilaville. Il tenait la chose d’un certain Naigeon ; c’était un certain Du Coudray qui avait dit à Naigeon qu’il avait possédé la Neuvaine. Ce Du Coudray était cet ami du jeune homme à qui Marmontel l’avait prêtée à la campagne… Que dites-vous de tout cela ? Marmontel se maudissait d’avoir fait ce poëme, et moi je me maudissais de l’avoir demandé. Il jurait bien de profiter de cette leçon ; c’en était une pour moi que je me promettais bien de ne pas oublier.

Dépêchez-vous, faites-moi préparer une niche grande comme la main, proche de vous, où je me réfugie loin de tous ces chagrins qui viennent m’assaillir. Il ne peut y avoir de bonheur pour un homme simple comme moi au milieu de huit cent mille âmes. Que je vive obscur, ignoré, oublié, proche de celle que j’aime, jamais je ne lui causerai la moindre peine, et près d’elle le chagrin n’osera pas approcher de moi. Est-il prêt, ce petit asile ? Venez le partager ! Nous nous verrons le matin ; j’irai, tout en m’éveillant, savoir comment vous avez passé la nuit ; nous causerons ; nous nous séparerons pour brûler de nous rejoindre ; nous dînerons ensemble ; nous nous promènerons au loin, jusqu’à ce que nous ayons rencontré un endroit dérobé où personne ne nous aperçoive. Là nous nous dirons que nous nous aimons, et nous nous aimerons ; nous rapporterons sur des fauteuils la douce et légère fatigue des plaisirs et nous passerons un siècle pareil sans que notre attente soit jamais trompée. Le beau rêve !