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du dégoût ; de l’appétit ; des évacuations douloureuses et sanglantes ; d’autres qui n’ont aucune de ces mauvaises qualités. On n’y entend rien, sinon que le chagrin et la maigreur augmentent et que les forces s’en vont. Mais un symptôme qui m’effraye plus qu’aucun autre, c’est la douceur de caractère, la patience, le silence et, qui pis est, un retour d’amitié et de confiance vers moi ; ni elle, ni personne autour d’elle ne dort. Il n’y a que le médecin qui soit toujours content. J’ai dans l’idée qu’il ne sait ce qu’il fait, et que le mal a une tout autre cause que celle qu’il lui suppose ; mais je n’oserais en ouvrir la bouche. Si par hasard je pensais faux, qu’il adoptât mon erreur, et que le changement de méthode eût des suites funestes, je ne m’en consolerais jamais. Il faut donc, depuis le matin jusqu’au soir, présenter à un malade des choses qu’on croit sinon contraires à son état, au moins peu salutaires et mal ordonnées, en voir le mauvais effet, et se taire.

Demain je m’installe chez moi pour n’en sortir que sur le soir. Le soin de mes affaires domestiques, auxquelles on n’est plus en état de veiller, un meilleur emploi de mon temps, et surtout l’éducation abandonnée de ma petite fille, l’exigent.

Je suis seul à Paris ; M. d’Holbach lit à Voré ; la Baronne s’ennuie au Grandval ; Mme d’Épinay seule, n’est pas, je crois, trop contente à la Briche. Grimm s’avance à toutes jambes vers la Westphalie : il était intimement lié avec M. de Castries, qui vient d’être grièvement blessé ; il va à deux cent cinquante trois lieues, voir quels secours ou quelles consolations il pourra donner à son ami. C’est toujours lui : il est parti sans que j’aie eu le temps de l’embrasser, à deux heures du matin, sans domestiques, sans avoir mis ordre à aucune de ses affaires, ne voyant que la distance des lieux et le péril de son ami.

Votre cas de conscience ne vaut pas la peine qu’on s’en occupe. Est-ce qu’il peut y avoir un mauvais procédé sans quelque sorte d’injustice ? A-t-on un mauvais procédé quand on satisfait à tout ce que l’on doit ? Manque-t-on à quelque chose de ce que l’on doit, sans être injuste en quelque point ?

J’ai oublié de vous dire que j’ai reçu, il y a une quinzaine de jours, par le prince Galitzin, une invitation, de la part de l’impératrice régnante de Russie, d’aller achever notre ouvrage à Pétersbourg. On offre liberté entière, protection, honneurs,