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rieurement l’éducation de trois ou quatre bambins qui n’étaient pas les siens, elle peut, je crois, se promettre, sans trop présumer d’elle, d’en bien éduquer un qui lui appartiendra. Je vous l’ai déjà dit ; ce n’est point ici une affaire de cœur, moins encore une affaire de tempérament. Pour ce blâme public qu’elle encourrait, peut-être elle l’a mis sous ses pieds. « Jamais, dit-elle, je ne me persuaderai que de se proposer, avant de sortir de ce monde, de remplir la place qu’on quitte, d’un honnête homme ou d’une honnête femme, que de s’exposer à perdre la vie pour la donner à un autre ; obligation que la différence des sexes imposait avant tout sacrement institué, toute législation publiée ; que de se sacrifier à inculquer dans une jeune femme des principes d’honneur et de justice, pendant un grand nombre d’années ; que de préparer à la société un bon citoyen, un bon père, une bonne mère, un bon mari, ce soit une cause d’opprobre ; parce qu’on ne s’assujettit pas à quelques formalités de convention qui ne signifient rien, et qui varient d’un peuple à un autre ; parce qu’on connaît la légèreté du cœur humain, et qu’on craint, en faisant un vœu indiscret, de devenir parjure ; parce qu’on ne veut pas accepter un tyran ; parce que, n’étant pas en état ni d’instruire ni de nourrir plusieurs enfants, on a recours au seul moyen possible de n’en avoir qu’un ; parce que, n’étant pas mariable par cent raisons plus solides les unes que les autres, on ne se marie pas, et parce que, forcée de se soustraire à la loi du prince, qui veut qu’on ne soit féconde qu’à telles ou telles conditions, j’obéis à la loi dénature qui veut que je sois féconde dès qu’elle ne m’a pas faite stérile. Ce ne sont pas de viles petites vues qui me mènent ; ce sont des vues grandes et nobles ; je veux être mère, parce que je suis digne de l’être. Si vous, monsieur, que j’ai choisi pour me donner cet auguste caractère, ne pouvez disposer de vous-même sans le consentement d’une autre, consultez-la ; mais si elle s’oppose à mon désir, je ne vous dissimulerai point que je m’estime plus qu’elle et qu’elle ne vous estime pas assez. Je ne crains point de perdre mon honneur, ce que j’appelle mon véritable honneur, en couchant avec son amant ; elle craint, elle, de perdre son amant en le laissant coucher avec moi. Dites-lui, une bonne fois pour toutes, que je ne vous aime point, et que je ne veux de vous que jusqu’au moment où vous cesserez de m’être néces-