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ESSAI SUR LA PEINTURE.

Là-dessus, voici comment on raisonne. À quoi donc ont servi toutes ces admirables proportions ? À rendre petite et commune une grande chose ? Il semble qu’il eut mieux valu s’en écarter, et qu’il y aurait eu plus d’habileté à produire l’effet contraire, et à donner de la grandeur à une chose ordinaire et commune.

On répond qu’à la vérité l’édifice aurait paru plus grand au premier coup d’œil, si l’on eût sacrifié avec art les proportions ; mais on demande lequel était préférable, ou de produire une admiration grande et subite, ou d’en créer une qui commençât faible, s’accrût peu à peu, et devînt enfin grande et permanente, par un examen réfléchi et détaillé.

On accorde que, tout étant égal d’ailleurs, un homme mince et élancé paraîtra plus grand qu’un homme bien proportionné ; mais on demande encore quel est, de ces deux hommes, celui qu’on admirera davantage ; et si le premier ne consentirait pas à être réduit aux proportions les plus rigoureuses de l’antique, au hasard de perdre quelque chose de sa grandeur apparente.

On ajoute que l’édifice étroit que l’art a agrandi, finit par être conçu tel qu’il est ; au lieu que le grand édifice, que l’art et ses proportions ont réduit à une apparence ordinaire et commune, finit par être conçu grand, le prestige défavorable des proportions s’évanouissant par la comparaison nécessaire du spectateur avec quelques-unes des parties de l’édifice.

On réplique qu’il n’est pas étonnant que l’homme consente à perdre de sa grandeur apparente, en acceptant des proportions rigoureuses, parce qu’il n’ignore pas que c’est de cette exactitude rigoureuse dans la proportion de ses membres, qu’il obtiendra l’avantage de satisfaire, le plus parfaitement qu’il est possible, aux différentes fonctions de la vie ; que c’est d’elle que dépendront la force, la dignité, la grâce, en un mot, la beauté dont l’utilité est toujours la base ; mais qu’il n’en est pas ainsi d’un édifice qui n’a qu’un seul objet, qu’un seul but.

On nie que la comparaison du spectateur avec une des parties de l’édifice produise l’effet qu’on en attend, et répare l’illusion défavorable du premier coup d’œil. En s’approchant de cette statue, qui devient tout à coup colossale, sans doute on est étonné : on conçoit l’édifice beaucoup plus grand qu’on ne l’avait d’abord apprécié ; mais le dos tourné à la statue, la puissance générale de toutes les autres parties de l’édifice reprend