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ESSAI SUR LA PEINTURE.

bras sur lui-même, aura vu des muscles qui saillaient s’affaisser, des muscles affaissés devenir saillants, et l’étoffe dessiner ces mouvements, prendra son mannequin et le jettera dans le feu. Je ne puis souffrir qu’on me montre l’écorché sous la peau ; mais on ne peut trop me montrer le nu sous la draperie.

On dit beaucoup de bien et beaucoup de mal de la manière de draper des Anciens. Mon avis, qui est en ceci sans conséquence, est qu’elle étend la lumière des parties larges par l’opposition des ombres et des lumières des petites parties longues et étroites. Une autre manière de draper, surtout en sculpture, oppose des lumières larges à des lumières larges, et détruit l’effet des unes par les autres.

Il me semble qu’il y a autant de genres de peinture que de genres de poésie ; mais c’est une division superflue. La peinture en portrait et l’art du buste doivent être honorés chez un peuple républicain, où il convient d’attacher sans cesse les regards des citoyens sur les défenseurs de leurs droits et de leur liberté. Dans un État monarchique c’est autre chose ; il n’y a que Dieu et le roi.

Cependant, s’il est vrai qu’un art ne se soutienne que par le premier principe qui lui donna naissance, la médecine par l’empirisme, la peinture par le portrait, la sculpture par le buste ; le mépris du portrait et du buste annonce la décadence des deux arts. Point de grands peintres qui n’aient su faire le portrait : témoin Raphaël, Rubens, Le Sueur, Van Dyck. Point de grands sculpteurs qui n’aient su faire le buste. Tout élève commence comme l’art a commencé. Pierre disait un jour : « Savez-vous pourquoi, nous autres peintres d’histoire, nous ne faisons pas le portrait ? c’est que cela est trop difficile. »

Les peintres de genre et les peintres d’histoire n’avouent pas nettement le mépris qu’ils se portent réciproquement ; mais on le devine. Ceux-ci regardent les premiers comme des têtes étroites, sans idées, sans poésie, sans grandeur, sans élévation, sans génie, qui vont se traînant servilement d’après la nature qu’ils n’osent perdre un moment de vue. Pauvres copistes, qu’ils compareraient volontiers à notre artisan des Gobelins, qui va choisissant ses brins de laine les uns après les autres, pour en former la vraie nuance du tableau de l’homme sublime qu’il a derrière le dos. À les entendre, ce sont gens à petits sujets