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ESSAI SUR LA PEINTURE.

Il n’y a pas un artiste qui ne vous dise qu’il sait tout cela mieux que moi. Répondez-lui de ma part que toutes ses figures lui crient qu’il en a menti.

Il y a des objets que l’ombre fait valoir, d’autres qui deviennent plus piquants à la lumière. La tête des brunes s’embellit dans la demi-teinte, celle des blondes à la lumière.

Il est un art de faire les fonds, surtout aux portraits. Une loi assez générale, c’est qu’il n’y ait au fond aucune teinte qui, comparée à une autre teinte du sujet, soit assez forte pour l’étouffer ou arrêter l’œil.


SUITE DU CHAPITRE PRÉCÉDENT.[1]


Examen du clair-obscur.

Si une figure est dans l’ombre, elle est trop ou trop peu ombrée, si, la comparant aux figures plus éclairées, et la faisant par la pensée avancer à leur place, elle ne nous inspire pas un pressentiment vif et certain qu’elle le serait autant qu’elles. Exemple de deux personnes qui montent d’une cave, dont l’une porte une lumière, et que l’autre suit. Si celle-ci a la quantité de lumière ou d’ombre qui lui convient, vous sentirez qu’en la plaçant sur la même marche que celle-là, elle s’éclairera successivement, de manière que, parvenue sur cette marche, elles seront toutes deux également éclairées.

Moyen technique de s’assurer si les figures sont ombrées sur le tableau comme elles le seraient en nature. C’est de tracer sur un plan celui de son tableau ; d’y disposer des objets, soit à la même distance que ceux du tableau, soit à des distances relatives, et de comparer les lumières des objets du plan aux lumières des objets du tableau. Elles doivent être, de part et d’autre, ou les mêmes, ou dans les mêmes rapports. La scène d’un peintre peut être aussi étendue qu’il le désire ; cependant il ne lui est pas permis de placer partout des objets ; il est des lointains où les formes de ces objets n’étant plus sensibles, il est ridicule de les y jeter, puisqu’on ne met un objet sur la toile que pour le faire apercevoir et distinguer tel. Ainsi,

  1. Ce chapitre manque dans l’édition de ce Salon publiée en l’an IV ; mais il se trouve dans le manuscrit autographe de cet Essai sur la peinture. (N.)