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qu’un son. Cependant il ne faut pas multiplier le nombre des rapports à l’infini ; et la beauté ne suit pas cette progression : nous n’admettons de rapports dans les belles choses que ce qu’un bon esprit en peut saisir nettement et facilement. Mais qu’est-ce qu’un bon esprit ? où est ce point dans les ouvrages en deçà duquel, faute de rapports, ils sont trop unis, et au delà duquel ils en sont chargés par excès ? Première source de diversité dans les jugements. Ici commencent les contestations. Tous conviennent qu’il y a un beau, qu’il est le résultat des rapports aperçus : mais selon qu’on a plus ou moins de connaissance, d’expérience, d’habitude de juger, de méditer, de voir, plus d’étendue naturelle dans l’esprit, on dit qu’un objet est pauvre ou riche, confus ou rempli, mesquin ou chargé.

Mais combien de compositions où l’artiste est contraint d’employer plus de rapports que le grand nombre n’en peut saisir, et où il n’y a guère que ceux de son art, c’est-à-dire les hommes les moins disposés à lui rendre justice, qui connaissent tout le mérite de ses productions ? Que devient alors le beau ? Ou il est présenté à une troupe d’ignorants qui ne sont pas en état de le sentir, ou il est senti par quelques envieux qui se taisent ; c’est là souvent tout l’effet d’un grand morceau de musique. M. d’Alembert a dit dans le Discours préliminaire du Dictionnaire encyclopédique, discours qui mérite bien d’être cité dans cet article, qu’après avoir fait un art d’apprendre la musique, on en devrait bien faire un de l’écouter : et j’ajoute qu’après avoir fait un art de la poésie et de la peinture, c’est en vain qu’on en a fait un de lire et de voir ; et qu’il régnera toujours dans les jugements de certains ouvrages une uniformité apparente, moins injurieuse, à la vérité, pour l’artiste que le partage des sentiments, mais toujours fort affligeante.

Entre les rapports on en peut distinguer une infinité de sortes : il y en a qui se fortifient, s’affaiblissent et se tempèrent mutuellement. Quelle différence dans ce qu’on pensera de la beauté d’un objet, si on les saisit tous, ou si l’on n’en saisit qu’une partie ! Seconde source de diversité dans les jugements. Il y en a d’indéterminés et de déterminés : nous nous contentons des premiers pour accorder le nom de beau, toutes les fois qu’il n’est pas de l’objet immédiat et unique de la science ou de l’art de les déterminer. Mais si cette détermination est l’objet immé-