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vous ne serez pas surpris qu’il n’y ait pas un graveur qui n’ait un burin et un faire qui lui soient propres  ; et vous ne le serez pas davantage que Mariette reconnaisse tous ces burins et faires particuliers, lorsque vous saurez que Le Blanc, Le Bel[1], ou tel autre joaillier du quai des Orfèvres, a si bien dans sa tête toutes les pierres de quelque importance qu’il a vues dans le commerce, qu’on chercherait vainement à les déguiser à son œil expérimenté, en les faisant repasser sur la meule du lapidaire.

Il y aurait un moyen de se connaître assez promptement en gravure : ce serait de se composer un portefeuille d’estampes choisies pour cette étude. Et ne croyez pas qu’il en fallût beaucoup : le seul Portrait du maréchal d’Harcourt qu’on appelle le Cadet à la perle, vous apprendrait comment on traite la plume, la chair, les cheveux, le buffle, la soie, la broderie, le linge, le drap, le métal et le bois. Ce morceau est de Masson, et il est d’un burin hardi. Ajoutez-y les Pèlerins d’Emmaüs, qu’on appelle la Nappe ; ramassez quelques morceaux d’Edelinck, de Visscher, de Gérard Audran ; n’omettez pas surtout la Vérité portée par le Temps, de ce dernier. Ayez pour les petits sujets quelques estampes de Callot et de La Belle ; ce dernier est riche

    est si indifférent, qu’il faudrait avoir l’humeur peu obligeante pour résister à ses prières. Mais, en cette année 1766, il m’est impossible de vous rien accorder sur cette prétendue science des écrivains experts. J’ai eu l’occasion de réfléchir sur la méthode de ces gens-là et d’examiner la solidité de leurs prétentions d’après les principes d’un de leurs membres appelé Vallain ; et je vous jure que j’aimerais mieux mourir que d’asseoir, en qualité de juge, la moindre décision en conséquence d’une science aussi arbitraire et aussi conjecturale. Comptez que la jurisprudence d’un peuple est très-barbare lorsqu’elle s’étaie de telles autorités. Cela n’empêche pas que Mariette ne puisse reconnaître le burin de tous les graveurs de Paris ou même de l’Europe ; mettez-en mille, vingt mille, si vous voulez : quelle comparaison avec tous ces milliards d’hommes qui savent tracer des caractères alphabétiques ? Leur multitude innombrable rend les combinaisons infinies, et tout homme qui assure que deux écritures ne peuvent être parfaitement semblables me paraît un fou bien téméraire. Ajoutez à la considération du nombre des combinaisons borné par le nombre des graveurs, que communément ils n’ont nul intérêt à déguiser leur manière, et qu’au contraire, dans tous les cas où les experts sont consultés, il y a presque toujours eu intérêt de contrefaire ou de déguiser l’écriture dont ils doivent juger, et vous achèverez de vous convaincre qu’il est impossible de conclure d’un de ces procédés : l’autre. Je vous passerais plus aisément la comparaison du style d’un auteur avec le burin d’un artiste, et je nommerais bien quatre ou cinq écrivains célèbres dont je me ferais fort de reconnaître la manière, quelque peine qu’ils prissent pour la déguiser ; encore serais-je bien fâché d’asseoir sur mon opinion une décision judiciaire. (Note de Grimm.)


  1. Variante : Jacquemin Lempereur.